Le plan « Saint Bernard »
Par Frédéric Oros
Récemment un internaute nous a posé une question concernant "le soutien aux ressortissants français en République démocratique allemande". Cette activité était-t-elle très développée et comment s'exerçait-t-elle ?
Le général Huet nous a fait une réponse très documentée sur le sujet, je le cite in extenso :
Le fondement juridique de cette responsabilité de la MMFL vis-à-vis des Français en RDA/ex Zone d’occupation soviétique en Allemagne, se trouve dans le paragraphe 11- alinéas 2 et 3 de l’accord Noiret-Malinine du 3 avril 1947.
Les accords établissant les deux autres Missions de liaison alliées comportaient des clauses analogues à celle de l’accord Noiret-Malinine, avec quelques différences mineures, pour la protection et l’assistance à leurs ressortissants dans la Zone d’occupation soviétique, et réciproquement pour les MMSL à l’égard des ressortissants soviétiques dans les zones d’occupation britannique ou américaine : Accord Robertson-Malinine §11-2 de septembre 1946 pour BRIXMIS et Accord Huebner-Malinine §11-b d’avril 1947 pour USMLM.
Naturellement dans l’immédiate après-guerre, avec des anciens prisonniers encore présents en Allemagne, ou des équipes françaises, ou surtout russes plus ou moins clandestines, cherchant à récupérer des savants ou des équipements scientifiques allemands dans chaque zones d’occupation, cette responsabilité de la MMFL comme de la MMSL de Baden était analogue à celle d’un consulat actuel.
Mais dès 1948 après la fermeture des frontières interzonales et les limitations de la circulation des étrangers dans la Zone soviétique, et surtout après 1972 quand la France a reconnu de jure la RDA et installé une ambassade avec son consulat à Berlin-Est, ayant comme zone de juridiction l’ensemble de la RDA, cette responsabilité de la MMFL d’assistance à nos ressortissants se trouvant en RDA était devenue caduque, à l’exception des militaires, y compris pour le TMFB, circulant entre Berlin et la RFA. L'ambassade assurait la protection consulaire de tous les autres Français en RDA, y compris à Berlin-Est.
Dans la pratique l’assistance apportée par la MMFL à nos compatriotes consistait le plus souvent à aider des Français perdus en RDA à l’occasion de rencontres fortuites avec un équipage de la Mission. Mais en cas d’incident impliquant des Français avec la police allemande l’équipage ne pouvait pas intervenir sur place, si ce n’est par un compte-rendu de l’incident au retour de la mission à Berlin-Ouest qui aurait été transmis à l’ambassade de Berlin-Est.
Mais dans les cas plus sérieux, comme cet accident provoqué par une collision dans le brouillard entre les camions d’un convoi d’une unité du CSFB sur l’autoroute d’Helmstedt qui avait fait une dizaine de blessés, et d’autres incidents encore comme un blocage de véhicule, la MMFL était prévenue soit par le CSFB si celui-ci avait la liaison radio avec les personnes impliquées sur place, soit le plus souvent par la SRE. C’est toujours par l’intermédiaire de la SRE, et avec son aide, que la MMFL réglait le problème sur place avec la kommandatura locale (constat, ambulances, dépannages, avec des moyens du CSFB, visites aux blessés, etc). Dans ces cas c’était le chef de Mission qui intervenait.
Le dossier d’aide et assistance aux militaires français impliqués dans un incident, ou blessés dans un accident, ou encore perdus en RDA que j’avais fait établir, avec l’état-major du CSFB pour tout ce qui concernait la logistique (secours médicaux, dépannage, etc), s’appelait le “Plan Saint-Bernard”. En fait c’était la formalisation de notes et de consignes diverses qui existaient auparavant à la MMFL. Il était également à disposition des Adjoints au Chef de Mission en cas d'absence de ce dernier.
Bien que ce type d’action ne fasse pas partie du quotidien du missionnaire, il est arrivé à plusieurs d’entre nous d’être confronté à des situations impliquant des ressortissants français sur ce territoire hostile qu’était la RDA. On peut s’imaginer le stress vécu par certains de nos compatriotes se trouvant dans des postures difficiles, voyant surgir de nulle part leurs sauveurs français dans une voiture bizarre …
L’une de ces interventions heureusement sans conséquence, reste gravée dans ma mémoire car elle symbolise pour moi l’aide spontanée et désintéressée que l’on doit donner à toute personne en difficulté.
Nous rentrions de vingt-quatre heures de pêche aux renseignements au sud-ouest de la RDA, mon chef d’équipage ce jour-là était le Lt-colonel Trastour et l’adjudant-chef V. opérait en tant qu’observateur. Pour gagner du temps afin de revenir sur Potsdam, nous étions un peu en retard sur l’horaire, nous avions décidé de prendre l’autoroute de transit aux alentours de Uhrsleben, bien avant Magdebourg. Malgré une météo exécrable, bourrasques de neige et verglas, je maintenais une allure soutenue sur la file de gauche, aidé il faut le dire par le poids et la tenue de route de la Mercedes Gelande 4 portes.
Quelques kilomètres avant la bifurcation de Lehnin qui permettait de contourner Potsdam en direction du check-point Bravo de Drewitz, j’aperçois à quelques centaines de mètres en avant des phares jaunes sur le bas-côté de l’autoroute à contre sens. N’oublions pas qu’à cette époque tous les véhicules français étaient munis d’ampoules jaunes. Instantanément j’avertis le Lt-colonel Trastour qui était quelque peu distrait par les volutes d’Amsterdamer émises par sa sacro-sainte bouffarde. Je ralentis fortement puis viens stopper la « G » devant la voiture française. C’est une Citröen GS qui a fait un tête-à-queue et s’est logée en marche arrière entre deux pins, à une dizaine de mètres du bord de l‘autoroute. Par chance il n‘y a aucun dégât. Après un premier contact, nous nous rendons compte que ce couple de français, avec un nourrisson de moins de six mois, tente depuis plus de trois heures de se sortir de cette fâcheuse situation. La voiture est profondément enfoncée dans la neige et malgré l’aide de deux citoyens est-allemand qui se sont gentiment arrêtés et de leur Trabant, rien n’y a fait. L’homme est visiblement épuisé et la jeune femme inquiète pour son bébé car le froid est intense.
Le Lt-colonel Trastour me dit : разворот ! * En quelques secondes j’effectue un demi-tour et me positionne face à la GS, le câble du treuil est déroulé et accroché solidement avec l’aide de l‘adjudant-chef. La puissance des quatre roues motrices de la Gelande et du treuil font merveille. Moins d’une minute après la voiture est à nouveau sur le bitume.
... je ralentis fortement puis viens stopper la « G » devant la voiture française
Ces français n’avaient aucun lien avec le CSFB et étaient venu rendre visite à Berlin ouest à des amis allemands, et je me souviens encore de la question de la jeune femme alors que j’étais en train de finir de ranger le matériel du treuil : Mais qui êtes-vous ?
Daniel Trastour répondit avec le sourire : les Saint-Bernard, mais sans le rhum, dommage !
Comme il n’y avait aucun dégât, ni de constat fait par la Volkspolitzei, le chef d’équipage n’a eu qu’à leur prodiguer des conseils de prudence, et leur demanda de signaler leur mésaventure aux gendarmes du poste de Drewitz. Nous les suivîmes quelques kilomètres encore avant de bifurquer vers le centre de Potsdam.
Frédéric Oros
* разворот ! « demi-tour ! » en russe. Ayant appris que je prenais des cours de russe avant de venir à la MMFL, le LT-colonel Trastour prenait un malin plaisir à tester mes connaissances de la langue lors de nos sorties, mais toujours avec humour et bienveillance.
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