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Ma première expérience avec les Spetsnaz

 Ma première expérience avec les Spetsnaz

 

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Spetsnaz

 

 Comme je l’écrivais dans mon article précédent sur des observations "Air" (entre PRCE et PRCI), j'ai subi lors de mon premier séjour comme sous-officier photographe-observateur et lors de l'une de mes premières sorties, comme l'on dit dans le jargon des "missionnaires", un beau blocage ou autrement dit une victoire de l'adversaire d'en face. Ceci n'avait rien d'humiliant et c’était même, après coup, formateur pour chaque membre d'équipage et plein d'enseignements pour toute la Mission. Le principal étant de savoir analyser les fautes tactiques ainsi que les erreurs collectives et individuelles commises.

 

Comme de coutume, l'équipage  pour une mission "Air" était constitué de 3 hommes. Un chef d'équipage ancien, le capitaine B, un sous-officier ancien, l'adjudant-chef L, et moi-même, jeune sergent nouvellement affecté qui, comme un gamin, croyait peu aux conseils de prudence des "anciens". Déjà, lors de sorties précédentes mes deux mentors formateurs, le Capitaine L., dit "André" et le sergent-chef L., dit "Jojo" (tous deux membres vigoureux de notre belle Amicale de l'AAMML) m'avaient prévenu : "Jacquomot fais gaffe, pète la mef ou un jour tu vas te faire avoir». Bien évidemment ma réponse était claire dans ma tête : "ah! les anciens, ça radote".... Et arriva ce qui suit.

 

Nous voilà, prenant la route de nuit très tôt, vers 1 heure du matin, heure où la majorité des "coulots" (qualificatif désignant les suiveurs de la Stasi) étaient encore sous les plumes des couettes est-allemandes. Auparavant tous les équipements de la VGL (véhicule de grande liaison), nos sacoches de matériels (dont le contenu du fameux "cercueil" qui abritait le matériel photo et les jumelles), la valise du navigateur et nos équipements personnels, comprenant notamment nos repas pour un minimum de trois jours, avaient été vérifiés avant embarquement.

 

Pour cette sortie, notre but était un objectif situé dans le sud-est de la RDA : l'aérodrome de Grossenhain. Cette cible était considérée comme très sensible, de même que d'ailleurs la majorité des aérodromes. De nombreux blocages ou incidents y avaient déjà marqué l'histoire des 3 missions. La veille, nos amis de l'escadron de GE (guerre-électronique, des passionnés eux-aussi par leur métier) avaient indiqué à notre chef-opérations qu'une activité anormale se préparait sur ce terrain. C'est donc avec une motivation extrême et pleins de fougue que nous franchissions le fameux "Pont des Espions" (titre aussi d'un excellent livre du Général Manificat) dans le sens inverse de celui du fameux pilote US de l'U2 abattu par un SAM2 au dessus de l'URSS.

           

Après un contrôle rapide de nos "Propousks" (laissez-passer russes) par le poste de sécurité soviétique (à cette heure on interrompait probablement le premier sommeil de l'officier chef de poste) nous voilà traversant Potsdam à vive allure, effectuant quelques coups de sécurité (évasives  et manœuvres permettant de détecter des filatures) dans les différents échangeurs d'autoroute puis cap au sud-est roulant de nouveau à très vive allure.

 

À une centaine de kilomètres de l'objectif, nous empruntons une fausse-sortie d'autoroute. De nouveau, deux longs coups de sécurité sont exécutés, RAS. Nous engageons une longue approche prenant à divers moments des caps de diversion laissant supposer que nous cheminions vers d'autres objectifs. Trajets ponctués de nouveaux coups de sécurité (ceux-ci duraient souvent plusieurs dizaines de minutes et un membre d'équipage, caché en bordure de route, notait l'immatriculation des voitures suspectes). Après environ 4 heures nous voilà camouflés en position d'attente (PA) à quelques encablures de notre PO (Point d'Observation). PA choisi en limite extrême de la ZIP (zone interdite permanente) qui protégeait le terrain et qui passait seulement à moins de 2 km de l'entrée Est de la piste. Mais depuis plusieurs kilomètres nous étions déjà "derrière les pancartes anti-missions". Pour tous les équipages cette zone était bien évidemment très chaude. 

           

Déjà en PA, et en plein bois nos sens étaient bien évidemment en éveil maximum. Mais ceci ne m'empêchait pas, en fils de chasseur "de gros" de m'éloigner un peu de notre VGL afin de relever "quelques pieds" de gibier et de revenir faire sursauter mes camarades. Bien évidemment, une sérieuse et bonne engueulade de la part du chef d'équipage me fit redevenir un vrai petit ange aux aguets.

           

Soudain nous entendîmes au loin des bruits de véhicules lourds semblant provenir de la direction du chemin reliant la base au PRCE. Le chef d'équipage décida aussitôt la mise en route vers notre PO, situé à moins de 3 km et en lisière de forêt.

           

La mise en place s'effectua sans encombre et nous primes soin d'effacer nos traces avec des branchages. Puis de nouveau, moment d'attente. A tour de rôle nous sortions de nos gamelles quelques petites choses à grignoter. Soudain, le jour à peine levé, nous entendîmes en provenance du terrain une mise en route d'un réacteur..... Super...nous pensions aussitôt que le vol "météo" se préparait et si cela s'avérait exact que ce serait alors un bon signe (en effet une journée d'activité aérienne commençait toujours par un vol dit "météo", ce dernier durait une demi-heure environ). Quelques minutes plus tard, bruit de décollage et dans les 20 minutes suivantes nous entendîmes un avion se mettre en finale. Le Midget (MIG 15 UTI)  apparu, "clic-clac Kodak", il était dans nos boitiers "Nikon" nous laissant ainsi espérer une journée fructueuse

           

En effet quelques dizaines de minutes plus tard de nombreux bruits de mises en route se firent entendre puis des décollages. Notre PO était aux petits oignons, presque sous l'axe d'approche, le Midget avait quasiment rempli l'objectif du 640mm et des axes de fuite s'offraient à nous.

           

Le bonheur apparut, les premiers SU 7 "Fitter" (nous étions en 1970) arrivèrent pour se poser. J'étais derrière le 640mm, le camarade L. aux jumelles et le chef d'équipage assurait la sécurité. Comme bien souvent, le photographe-observateur était aussi le chauffeur. Après une accalmie, de nouveaux bruits de décollage se firent entendre. Longue attente et de nouveau une série d'atterrissages. Chaque avion observé avait un numéro d'identification différent ce qui nous permettait de penser que tous les escadrons volaient. Notre moisson était déjà fructueuse. Malheureusement un tracteur avec une remorque déposa dans le champ devant nous une vingtaine de cultivatrices qui s'attelèrent au ramassage. Bien qu'à plusieurs centaines de mètres, nous pensâmes que bientôt notre position serait intenable. La décision fût prise, à notre grand regret de quitter en discrétion notre super PO afin de le préserver. Notre adjudant-chef en connaissait un autre mais qui allait nous imposer plusieurs traversées de route. L'activité aérienne se poursuivait, augmentant encore notre excitation. Le capitaine décida du "GO" et hop nous voilà en route.

           

Tout en cheminant, nous tentions de faire un relevé de l'activité. À mi-parcours, surprise....le SU7 qui arrivait avait une configuration différente. Bidons supplémentaires et un missile non-identifié en position ventrale. Son camouflage était différent tout comme la couleur de son numéro d'immatriculation et divine surprise figurait du côté de son nez l'insigne d'un régiment de la Garde. L'information de nos amis de la GE était bonne, le déploiement d'un régiment en provenance de "la mère Patrie" était en cours. La décision fût aussitôt prise de se mettre au plus vite en position d'observation. Nous traversâmes plusieurs routes et un bois proche situé sur une colline fît notre affaire comme nouveau PO de fortune et le festival commença avec l'arrivée toutes les 3 à 4 minutes d'un nouvel avion, puis plus rien. 

           

Sur l'une des routes que nous avions traversées, à plus d'un kilomètre, je signalais à mes deux camarades le passage d'un petit élément soviétique composé de deux Gaz 69 et de deux Zil 157 avec, me semble-t-il, des soldats à bord. "Normal" sur cette route me répondirent les "anciens". Il était environ 15h, pas d'activité, nous sortîmes de nouveau à tour de rôle nos "gamelles". Tout en mangeant à l'arrière de la voiture, il me sembla entendre furtivement des voix.... normal me dit L., en bas il y a un LPG (ferme collective).... OK...me dis-je et "savoure tranquillos" ta gamelle.

           

De nouveau en provenance du terrain... des mises en route et des décollages. Les gamelles de nouveau dans la voiture et chacun à son poste. Comme chauffeur je me tenais à une petite dizaine de mètres de ma portière, toujours le 640mm en main. Mes camarades à leur poste côté droit du véhicule. À la 12e finale environ, le capitaine hurla " Les Russes!!!!". Son cri fut suivi d'une trentaine d'autres plus puissants encore. Je me jetais au volant, lançant le 640 à l'arrière, l'adjudant-chef se précipitant à la place avant droite et le capitaine tentant de rentrer à sa place arrière droite. Retenu par un pied, il dût pratiquement assommer son "plaqueur" pour entrer et verrouiller sa porte. Quant à moi, à peine le moteur mis en route je vis trois soldats se jeter à genoux devant le capot et armer leurs Kalachnikov. Le commandant chef du détachement "sov" ordonna de couper le moteur, ce que me demanda aussitôt de faire notre chef d'équipage. De tous cotés nous étions "en joue". Ma vitre était très légèrement ouverte, ce qu'aperçut un adjudant du détachement russe. Il ordonna à un soldat de tenter de faire baisser davantage ma vitre avec son arme dotée d'une baïonnette. Je tentais de protéger ma vitre en me plaquant à elle et en retenant fermement la poignée. Mais les 5 cm baissés permirent au soldat d'introduire sa baïonnette qu'il me plaça sous le cou me coinçant la tête contre le repose-tête. Notre capitaine tenta d'engager un dialogue avec le commandant russe. L'adjudant-chef mettait discrètement un à un nos films à l'abri dans une cache de la VGL et remettait des films neufs dans les boitiers, tout cela sous une couverture et malgré une chaleur estivale. Peu à peu l'ambiance devint moins tendue...Tous les "intervenants" portaient sous leur veste de combat le fameux "T-shirt" blanc à rayures bleues et arboraient l'insigne de la Garde. Si l'ambiance s'était légèrement détendue, pour ma part j'étais toujours maintenu dans la même position, baïonnette sous le coup et l'adjudant semblait ravi en tapotant sur l'épaule de son soldat de la réussite de leur coup. Ces commandos le pouvaient... Le commandant expliqua que nous avions été vus grimpant la colline, et que eux, sur la base, prévenus, surent nous localiser et nous approcher progressivement et silencieusement à chaque passage d'avions. Moments où nous étions tous les trois absorbés à nos tâches, il est vrai un peu grisés par notre superbe moisson. Deux heures après approcha un lieutenant-colonel aviateur nous annonçant l'arrivée de la Kommandatura..... Il demanda au commandant de faire baisser les armes mais fit maintenir ma position m'accusant d'être un "spion" car je n'avais pas de galon sur mon blouson vert.... une heure après arriva un autre lieutenant-colonel cette fois-ci se présentant comme étant le second de la Kommandatura. Il demanda à notre chef d'équipage de descendre. Celui-ci exigea l'éloignement des hommes et le retrait de la baïonnette du véhicule... ce qui fut fait et notre capitaine entreprit le dialogue. Après quelques dizaines de minutes nous prenions la route en suivant le Gaz 69 de la Kommandatura et escortés par nos "guerriers".

 

           

Garé devant la Kommandatura, l'adjudant-chef et moi-même attendîmes notre capitaine. Environ deux heures plus tard, il revint à la voiture, nous annonçant que nous devrions être bientôt libres. Il récupéra dans la VGL une bouteille de Cognac (arme secrète que nous avions toujours à bord.... sait-on jamais). Effectivement nous reprîmes la route 45 minutes plus tard. Notre chef d'équipage épuisé par une négociation sans fin ponctuée d'un doux breuvage soviétique... Aucun "Act" n'avait été signé... et comme de coutume c'est le chef de la Mission qui allait être convoqué à la SRE de Potsdam pour "une sérieuse remontée de bretelles".

 

 

Quant à nous, nous eûmes droit à la nôtre car il est vrai que dans notre seconde approche nous avions négligé la sécurité en voulant trop en faire. Dans ces circonstances nous aurions dû écourter notre présence dès l'observation du déploiement terminé. Pour ma part au retour, à mon premier sommeil, je rêvais de...baïonnette et par la suite durant mes deux séjours, vigilance, réactivité, discrétion furent parmi mes directives personnelles.

 

Fitter.JPG

 

Su-17 Fiter

 

De cette mission nous fûmes cependant félicités par notre chef-ops car les résultats étaient excellents. Nous avions réussi les premières photos d'un nouveau missile air-sol soviétique embarqué sous Fitter. Nous apprîmes deux jours plus tard par nos amis de la GE que le régiment venu d'URSS que nous avions observé avait effectué de très nombreux tirs air-sol sur l'un des plus grands champs de tirs de RDA et en utilisant de nouvelles procédures. Ceci confirmait l'importance de ce déploiement tactique.

 

L'un des points positifs pour notre section Air fût qu'en utilisant un PO de fortune nous n'avions pas "grillé" deux excellents autres. Par la suite, lors de mon premier séjour, je suis retourné de nombreuses fois réaliser des activités aériennes aux abords de ce terrain avant que le tracé de la ZIP ne soit modifié deux ans plus tard. À mon deuxième séjour, sur ordres, je pus réaliser avec mon équipage une pénétration de ZIP afin d'observer le déploiement d'un tout nouveau modèle d'avions. Un blocage était toujours riche d'enseignements pour tous. Pour ma part j'appris beaucoup des réflexes sécuritaires de mon adjudant-chef qui mit le matériel à l'abri et notamment les films, et de mon chef d’équipage resté ferme devant nos agresseurs. Nous avions eu aussi de la chance que l’intégrité de la VGL soit respectée alors que dans d’autres blocages les équipages eurent moins de chance et virent leur véhicule mis à sac.

 

Dans la suite de ma carrière, à l’époque de la création de la Direction du Renseignement Militaire, j’eus la chance, sous les ordres du Général Manificat, de pouvoir sélectionner et commander une trentaine d’hommes (terriens, aviateurs et civils), pour la grande majorité ayant servi au sein de la MMFL. La RHCT (Recherche Humaine à Caractère Technique) était née. Grâce au rassemblement de toutes leurs expériences et savoir-faire, une grande partie de ce patrimoine humain fût ainsi conservé et permit notamment de monter des stages au profit d’unités spécialisées dans la collecte du renseignement humain ou d’actions spéciales.

 

Mais avant que la DRM ne remplace notamment les Bureaux Renseignements des Armées (EMAT /BRRI, EM/OPS-RENS ET EMAA 2e Bureau) un certain nombre d’aviateurs furent affectés dans ce dernier. Ils furent engagés dans nombre de conflits extérieurs et assurèrent nombre de récupérations de matériels étrangers parfois dans des conditions très dangereuses et très délicates (petit clin d’œil à Johnny, Titou, René, Philippe, Loïc, Christian… et d’autres) ou nous étions des amis soudés par cette merveilleuse expérience que nous avions partagé à la MMFL. Grand merci à Elle….

Mais ceci est une autre histoire.

À plus tard pour d’autres aventures…

 

 

Jacques Suspène

 



01/10/2019
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