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Le 14 juillet derrière le rideau de fer.

 

 

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Villa de Potsdam réservée  aux réceptions, vue du parc.

 

 

 

LE 14 JUILLET AUX VILLAS

 

 

 

En ce jour de fête nationale, comment celle-ci était-elle célébrée aux villas de Potsdam ? Je ne donnerai ici qu’une relation de la seule à laquelle il m’ait été donné d’assister. Elle constituait un évènement à l’échelle de la ville et réunissait nombre de missionnaires, d’invités français, alliés et soviétiques. Non invités mais aussi présents en nombre, on trouvait à l’extérieur des villas des Vopos en grande tenue qui s’efforçaient de tenir à l’écart une foule toujours plus nombreuse au fil des ans et bien sûr, très discrète mais omniprésente, la Stasi. Je traiterai ci-dessus principalement de la fête nationale française, mais le Queen’s Birthday et l’Independance Day étaient bien évidemment aussi célébrés, même si, de mon point de vue, c’était avec moins de faste.

 

L’arrivée des invités.

 

L’arrivée des invités s’effectuait dans le courant de l’après-midi selon un ordre immuable. Les membres de la mission et leurs familles arrivaient les premiers dans quelques VGL et le combi. Ils étaient suivis par un groupe folklorique représentant une province de France, le même qui se produisait au Quartier Napoléon puis à la Französische Woche à Tegel, parfois par des éléments de la musique du 46ème régiment d’infanterie, qui arrivaient en cars. Venaient ensuite les invités de moindre rang protocolaire, pour les Français c’étaient des chefs de service du secteur français de Berlin, parfois de l’état-major du CCFFA voire de Paris qui étaient en relations avec la MMFL. Les hautes autorités, chefs de mission ou généraux arrivaient les derniers. La délégation soviétique, composée de la SRE et de quelques officiers de l’état-major du GFSA venus de Wünsdorf, arrivait groupée.

 

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Un groupe folklorique reçoit les félicitations du Chef de Mission et de son adjoint.

 

 

La régulation du flux de véhicules que cela représentait était bien organisée. Le pont de Glienicke constituait un point de passage obligé pour tous les invités occidentaux. La garde soviétique était en grande tenue, et la MMFL mettait obligeamment un officier parlant le russe à la disposition du chef de poste qui contrôlait personnellement les pink-pass des invités. Ce contrôle restait d’ailleurs symbolique, en particulier pour les passagers des cars, pour ne pas créer d’engorgement – le passage des chicanes du Pont par les cars demandait déjà pas mal d’adresse à leur conducteur. Ce jour-là, la MMFL recevait un groupe antillais. Le chef de poste soviétique, très ennuyé, a demandé à l’officier français de bien vouloir trier les pink-pass en deux, selon que les porteurs étaient des « nègres » ou non. Sur la réponse de ce dernier, selon laquelle les pièces d’identité françaises ne portaient pas de mention d’appartenance raciale, le chef de poste, très perplexe, s’est contenté de compter les passagers…

 

L’ouverture de la fête.

 

L’affaire commençait par une prestation du groupe folklorique, qui exécutait des danses et des chants. Ils avaient toujours beaucoup de succès, notamment auprès de la population locale, massée aussi près que possible des grilles, mais contenue et tenue à distance sans grand mal par les Vopos : nous sommes en Allemagne de l’Est, plus encore qu’à l’Ouest, Ordnung muss sein ! [1]

 

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Une assistance attentive où se mêlait Officiers Français, et leurs invités, Soviétiques, Britanniques et Américains et leurs épouses 

 

 

Elle se poursuivait, avec une coupe de champagne, par le discours d’accueil du chef de mission, politiquement extrêmement correct même si quelques allusions discrètes à la situation politique générale et à celle des missions pouvaient être perceptibles à l’observateur attentif, probablement guère au spectateur moyen, même sans parler des difficultés liées à la langue. Ce discours en français était traduit, en simultané et catimini, en russe par les interprètes habituels de la SRE, le capitaine féminin Valentina et le lieutenant Trénine. Malgré leurs talents, on peut douter qu’ils aient pu complètement rendre les subtilités du discours original, dont on n’a, malheureusement, conservé aucune trace.

 

 Le déroulement de la fête.

 

L’addition du faste des réceptions berlinoises et des beuveries soviétiques (le terme n’est pas excessif) produisait un effet étrange, surtout si l’on songeait au public est-allemand tenu à l’écart de ces agapes et qui, probablement, voyait pour la première fois de loin les canapés, les crustacés, le saumon, le foie gras, les cailles et beaucoup d’autres Delicatessen qui lui étaient pour la plupart inconnus. Le champagne coulait à flots, comme le punch et beaucoup d’alcools forts, particulièrement prisés des soviétiques.

 

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Comment le dire avec une fleur.

Au second plan, la traductrice Valentina unanimement appréciée par les missionnaires...

 

Une relativement stricte discipline parvenait à peine à éviter que ne se reproduise, chez les soviétiques, l’incident survenu quelque temps auparavant : lors d’une soirée bien arrosée, après que les soviétiques aient pris congé, et alors que les missionnaires procédaient au débriefing habituel, les voilà qui reviennent, apparemment très en colère : ils recherchaient le capitaine Palagoutine, disparu et soupçonné d’avoir recherché l’asile politique en occident. Le chef de mission s’en est offusqué, leur a indiqué qu’il n’avait rien à cacher et les a mis au défi de fouiller la villa. La recherche n’a pas été bien longue : le capitaine Palagoutine a été découvert allongé, ivre-mort, derrière un canapé du salon. Il a été emporté par les interprètes avec de très vagues excuses. On ne sait pas ce qu’il est devenu, mais on peut présumer qu’il a poursuivi sa carrière en Sibérie. Le capitaine Palagoutine, sympathique au demeurant comme beaucoup d’ivrognes, était connu à la mission par sa boisson favorite, le « gin-tonic à la Palagoutine ». Le gin-tonic, comme d’autres mélanges tels le whisky-coca, présente l’avantage que sa teinte est indépendante des proportions des ingrédients. Le gin-tonic des soviétiques « sobres » se caractérisait par des proportions égales de gin et de tonic, pour celui du capitaine Palagoutine, c’était à peu près une bouteille de gin mélangée à une petite bouteille de tonic…

 

 L’ambiance s’y prêtant bien, la MMFL, les Missions alliées et d’ailleurs également les Soviétiques et d’autres invités saisissaient l’occasion de la fête nationale pour remplir leur mission de liaison et rentrer en contact informel et discret les uns avec les autres. C’était l’occasion de tester l’ambiance et de passer quelques messages de façon moins formelle que face à face de part et d’autre d’une table à la SRE.

 

La dislocation.

 

Vers 20 heures, avant la tombée de la nuit, les invités repartaient, d’abord les autorités, puis par petits groupes, en prenant congé discrètement. La fête s’achevait par un chant final du groupe folklorique, la Mission procédait à un dernier débriefing discret, à l’extérieur des villas pour se prémunir des micros de la Stasi, pendant que le personnel des villas débarrassait les restes des buffets en se mettant de côté des provisions pour le reste de la semaine. Et chacun rentrait chez lui, les habitants de Potsdam sous la surveillance des Vopos soulagés de l’absence d’incidents, un peu tristes d’avoir vu l’opulence qui régnait à l’ouest et qui leur était, pour le moment, interdite…

 

Jean-Paul Staub


 

[1] L’ordre doit régner.

 



07/10/2019
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