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L’armée soviétique, rouleau compresseur ou tigre de papier ?

 

 

 

La perception des forces de l’URSS et celle des Armées  russes d’aujourd’hui a-t-elle fondamentalement changé ? Alors que des manœuvres gigantesques baptisées Vostok  (Восток 2018) sont en cours, dans toute la Sibérie et dans l'Extrême-Orient Russe, impliquant  des unités de toutes les armées russes et des renforts chinois et mongols, la question reste posée. Fin août 2018, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a déclaré que l'exercice serait le plus important en Russie depuis "Zapad-81", organisé par l'Union soviétique en 1981. Ce sont 300 000 soldats, 36 000 véhicules essentiellement blindés, 1 000 avions et 80 navires russes qui participent à cette démonstration de mobilisation et de force. Cet excellent article de Patrick Manificat illustre l’actualité, une actualité  qui rejoint l’histoire ! (R.Pi)

 

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L’armée soviétique, rouleau compresseur ou tigre de papier ?*

 

 

 

            Il est difficile de décrire en quelques lignes ce qu’étaient les armées soviétiques présentes en RDA dans les années 80, la menace qu’elles représentaient pour l’Occident et le danger qu’elles faisaient courir aux missionnaires dans leur chasse aux renseignements. C’était d’abord le plus gros contingent armé russe hors des frontières de l’URSS avec  plus de 400.000 hommes[1]. Ces forces disposaient d’une masse considérable de matériel et d’armement pré-positionnés à travers toute l’Allemagne de l’Est selon un dispositif soigneusement étudié pour leur permettre de déclencher une offensive à tout moment. Vivres, munitions, carburant et pièces de rechange s’entassaient dans d’innombrables dépôts répartis sur toute la profondeur du pays. Toutes les unités de combat tenaient garnison à proximité immédiate de leurs zones de déploiement de guerre. Ces zones communiquaient entre elles par des lignes téléphoniques protégées et elles étaient reliées les unes aux autres par un immense réseau de pistes tactiques, autrement dit de routes exclusivement militaires et, pour la plupart, réservées aux blindés. Des gares et des voies ferrées militaires complétaient ce dispositif, défendu par de très nombreuses batteries de missiles anti-aériens. Les aérodromes couvraient également tout le territoire, qu’il s’agisse de bases d’avions ou d’hélicoptères, de terrains de secours et même de portions d’autoroute aménagées.

 

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 T64 B  du GFSA

 

A la différence des armées occidentales où l’organisation, le fonctionnement et la conception sont le reflet des besoins du temps de paix, l’URSS avait mis sur pied des forces dont l’organisation « Paix » était déjà l’organisation « Guerre ». Le fer de lance de ces forces était le Groupe de Forces Soviétiques en Allemagne. Fleuron de l’Armée Rouge, il constituait au cœur de l’Europe un groupement de forces sans équivalent dans le monde par son dispositif, son volume et sa puissance. Côtoyant une société entièrement militarisée dans un pays grand comme deux fois la Suisse, il était placé en tête du Pacte de Varsovie dont il était l’élément de choc.

 

 Pour un cadre nouvellement affecté à la MMFL, petit moucheron français virevoltant autour de l’ours soviétique, il fallait d’abord se débarrasser de l’image standardisée que tout un chacun se faisait de ce géant. Le nouvel arrivant avait généralement comme référence unique, imprimée dans sa rétine, la photo d’un défilé du 7 novembre où, chaque année, l’URSS présentait un formidable tableau de ses forces militaires en organisant sur la Place Rouge une parade de quarante-cinq minutes qui donnait à son peuple et au monde la vivante image de sa puissance militaire. Les dimensions et le nombre des armes présentées, mais aussi l’impression d’engagement total qui se dégageait de l’impeccable défilé des unités, du fier salut des chefs de char, de l’alignement rigoureux des soldats et du déroulement irréprochable de la cérémonie frappaient le spectateur d’une admiration mêlée d’angoisse.  Il n’avait pourtant vu qu’une petite partie du colosse russe de deux millions d’hommes et de cinquante mille chars, cette machine de guerre impressionnante, ce rouleau compresseur impossible à arrêter, ce réservoir de forces inépuisable…pour ne reproduire que quelques-unes des expressions utilisées pour décrire cet adversaire quelque peu mythique, mais déjà il abordait avec angoisse sa première confrontation réelle avec l’armée soviétique.

 

 

 

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HIND en passe de tir à Retzow

 

Depuis la chute du Mur, le ton a bien sûr changé et à maintes reprises, d’anciens missionnaires se sont entendus dire qu’ils s’étaient laissés impressionner, abuser, intoxiquer par ce colosse au pied d’argile, ce « tigre de papier » qui vendait maintenant les plus précieux de ses effets militaires pour des sommes dérisoires. On leur avait raconté des histoires, on avait « gonflé » la menace, bref nous avions menti sciemment. La tentation de nier la menace soviétique a toujours existé et la négation des catastrophes a, dans le monde occidental, une longue tradition. Mais, sachant que l’évaluation de la menace a toujours conditionné les politiques de défense des pays occidentaux pendant toutes les années d’après-guerre, on conviendra que cette évaluation était une tâche complexe qui exigeait beaucoup de prudence, car la surestimation du danger pouvait certes constituer un stimulant pour l’esprit de défense, mais elle pouvait surtout servir à justifier l’accroissement de l’effort budgétaire des gouvernements respectifs.

 

De ces arrière-pensées, la MMFL ne se préoccupait pas. Elle bénéficiait d’une situation d’exception qui lui permettait d’observer aussi bien les forces que les faiblesses de cet adversaire potentiel. Elle se contentait de décrire les unes et les autres, en distinguant les faits et les commentaires, sans en faire l’interprétation.

 

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 Accident d'un Oural 375 citerne carburant lors d'un déplacement d'unité

           

D’ailleurs, à la fin des années 80, plusieurs idées reçues avaient commencé à être remises en cause. Le « formidable outil » était englué depuis des années en Afghanistan sans espoir d’un succès décisif. Les cas d’insoumission, d’alcoolisme et d’inaptitude étaient souvent rapportés, même par le quotidien « L’Etoile Rouge ». Enfin, l’Armée restait avant tout le reflet de la Nation, marquée par la paralysie des initiatives et la peur des punitions. La situation des forces armées soviétiques reflétait aussi celle du système politique et de la société en crise idéologique, économique et morale depuis la période de « stagnation » brejnévienne qui a abouti à la « perestroïka » et à la décomposition finale de l’URSS. Il convenait donc d’examiner très attentivement l’envers du décor.

 

 

C’est ce que fit la Mission en soulevant un coin du voile et en montrant la réalité cachée derrière l’image d’Epinal du « rouleau compresseur » : carences chez les personnels, défauts dans les matériels et rigidité souvent dogmatique dans la façon de s’en servir. Tout cela a bien été recueilli, transmis et commenté par les missions militaires alliées.

 

 

 

Patrick Manificat

 



[1] 650 000 hommes dans les années 50, 525 000 dans les années 70, 340.000 lors du retrait en 1991.

 



07/10/2019
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