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La KOMENDATOURA de POTSDAM par le Commandant Claude LEGENDRE, épisode 7 et FIN

Rédacteur : Jacques Suspène.

 

 

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Dessin réalisé par l’auteur en couverture de son document

 

 

 

Cet épisode débute par le treizième jour de détention et se termine par la libération « surprise » de l’équipage. Un poing levé par le Chef d’équipage au passage de la « barrière énorme, monstrueuse, kafkaïenne du pont de Glienicke », marquera la fin de la vie opérationnelle de l’équipage au sein de la MMFL, les Soviétiques ayant déclaré les trois membres comme PNG (Persona Non Grata).

Le pont de Glienicke est le fameux « Pont des Espions » séparant la RDA de Berlin-Ouest et franchissant la Havel. Ce pont était le point d’entrée et de sortie des VGL des trois missions.

 

 

*

 

Le treizième jour ressembla aux précédents : combien de détails futiles il fallait pour meubler une journée ! Dans la matinée, quatre avions de chasse soviétiques tournèrent au-dessus de nos têtes pendant un long moment. Le capitaine de service passant, je lui demandais si l’on craignait qu’un hélicoptère français ne vienne nous enlever. Ce ne fut pas apprécié. Le Colonel Souchko me convoqua pour me dire que je pouvais recevoir de la nourriture pour moi-même, mais que mes deux coéquipiers devaient accepter la nourriture soviétique. Je déclinai en disant que nous partagions entre nous trois ce qui nous était apporté.

Il insista à nouveau pour qu’un médecin soviétique vienne nous examiner. Je refusai, disant que j’attendrais l’ordre de ma hiérarchie. Dans l’après-midi passa un général de l’Armée de l’air très étoilé. Je demandai malicieusement au capitaine de service si c’était un ‘Revizor’, faisant allusion à la célèbre pièce de Gogol. Là aussi ma légèreté française ne plut pas. Mais ces messieurs pouvaient constater que nous ne faiblissions pas malgré leurs mauvaises façons.

 

*

 

La Foire de Leipzig était un événement dont la DDR essayait de magnifier l’importance.

Nous y allions, pour voir, et aussi pour nous montrer, ‘to show the flag’ disaient les Missionnaires britanniques. Malgré de gros efforts, l’aspect des stands n’avait rien d’éblouissant. Parfois nous prenions contact avec des ingénieurs français qui représentaient quelques grandes firmes, en particulier des constructeurs d’automobiles. C’étaient souvent des officiers de réserve qui étaient heureux de nous voir en uniforme dans cette grisaille, et certains nous racontaient même  carrément les difficultés qu’ils rencontraient. L’un d’eux, habitué des Pays de l’Est nous dit que le pire de tous les salons était celui de Sofia, suivi de peu par Varsovie. A Leipzig, c’était un peu miteux, mais pas inorganisé.

Une fois une pluie torrentielle avait beaucoup abîmé les stands et encore plus les allées, où l’on pataugeait. Or le soir on put voir le reportage qu’en fit la télévision de Berlin-Est : pas une goutte d’eau, pas une trace de boue.

Ces gens de la propagande étaient vraiment des as.

 

*

 

Le quatorzième jour au matin, ce fut le calme plat. Tout le monde semblait dormir. Nous craignîmes un réveil en fanfare.

Soudain un camion soviétique apporta une barre de remorquage qui fut placée à côté de notre voiture. Où diable allait-on nous emmener ? A Moscou ? En prison quelque part ?

Au milieu de l’après-midi, Blangetas, sous prétexte de nous apporter des livres, nous susurra que notre libération était peut-être proche.

Quelque temps après arrivèrent les sbires de la SRE, puis bientôt le Colonel Rohé, qui nous dit seulement cette parole salvatrice : « Ça y est ».

Des soldats poussèrent notre voiture de l’avant-cour dans l’arrière-cour. Etait-ce pour le peloton d’exécution ?

Non pas ! Gretchichkine donna l’ordre – et j’attendis que le Colonel Rohé ait acquiescé pour bouger – de sortir nos cartes, les nôtres et celles fournies par la SRE où figuraient les zones interdites, et de les brûler. Il fallut ensuite dérouler les pellicules de nos appareils photographiques, et les brûler également.

Et ce fut tout.

Ensuite ces messieurs se dispersèrent en un désordre très slave, et disparurent.

 

*

 

Un capitaine de la Mission était déjà là, qui garderait notre voiture accidentée jusqu’au soir. Un véhicule-remorqueur de chez nous viendrait alors l’emporter à Berlin-Ouest.

Sur un signe du Colonel Rohé et sans prendre congé de nos geôliers envolés, nous embarquâmes avec nos quelques affaires personnelles dans la belle voiture noire du Chef de Mission, fanion français déployé.

Le Colonel  resta silencieux un moment puis, lorsque nous approchâmes du pont de Glienicke qui marquait la frontière entre les deux mondes, il nous annonça que   nous étions tous les trois déclarés ‘persona non grata’, png  dans notre argot.

C’était pour moi l’écroulement de très nombreuses années de travail et d’effort. Je me souvins du poème de Kipling : ‘Si tu peux voir détruit en un seul jour l’ouvrage de ta vie …’

Mais je me dis que dans notre dénuement nous avions tenu ferme et que - n’en déplaise aux esprits forts -  nous pouvions penser que comme au temps de France - la-Doulce : ‘Tout était perdu fors l’honneur’.

Puis je réfléchis que le MfS nous aurait sans doute ‘fait la peau’, dans ce pays où les ‘opérations mouillées’ étaient en usage.

 

*

 

Ayant passé la barrière énorme, monstrueuse, kafkaïenne du pont de Glienicke, je ne  pus  me retenir de brandir le poing au chef de poste soviétique qui n’y comprit goutte.

Le milieu du pont franchi, nous étions en Occident. Ce fut une explosion de joie dans la voiture. La chape de plomb s’évaporait, s’envolait, se sublimait… L’autoroute Potsdam - Berlin, l’ « Avus », nous donna la demi-heure nécessaire pour apprendre et dire ce qui s’était passé pour nous de chaque côté du Rideau de fer.

Nous sûmes ainsi que le MfS avait réussi à faire circuler un mensonge au Lycée Franco-Allemand de Berlin-Ouest : nous avions assassiné un gradé Vopo.

Nous apprîmes aussi – ce que nous avions craint – qu’après la première semaine l’affaire avait échappé en fait aux griffes des militaires soviétiques de DDR pour tomber dans les filets des diplomates, ceux de Moscou et ceux de Paris.

Ces derniers, peu contrits que des militaires soient retenus en otages, avaient essayé d’étouffer l’affaire en France pour qu’elle ne s’ébruite pas, mais une indiscrétion d’un journaliste les avait obligés de se manifester. C’est ainsi que les  Français eurent droit dans leur presse à la langue de bois habituelle : un communiqué ‘se voulant très modéré’ indiqua qu’il ne fallait pas ‘dramatiser le contentieux’, que ‘le côté soviétique était compréhensif’, etc.

Il se confirma ensuite, en comparant ce que nous savions chacun, que pendant toute l’affaire les Soviétiques de Potsdam avaient menti sur tous les points et ce dans les deux sens, ce qui expliquait leur refus de tout contact entre notre Mission et nous. Enfin, pour obtenir notre libération, il avait fallu payer une rançon d’un montant très élevé, et les familles des Missionnaire avaient dû se cotiser pour trouver la somme d’urgence.

 

*

 

Les jours qui suivirent, nous allâmes tous les trois consulter notre médecin militaire. Il nous trouva abîmés. Mon Adjudant Lemerre dut être hospitalisé.

 

*

 

J’eus aussi à voir quelques autorités civiles qui prouvèrent qu’elles n’avaient aucune idée de la vie d’outre-rideau : elles vivaient dans leur bulle dorée de Berlin-Ouest. Un diplomate âgé, pompeusement appelé ‘le Ministre’, demanda à me voir. Il n’eut pas droit à mes confidences, conscient que je fus à son contact que ses gens de Paris craignaient que je ne m’épanche dans quelque publication. La ‘Grande Muette’ n’est-elle pas composée de petits bavards ? Je le laissai donc dans l’incertitude.

 

*

 

Le même jour, un ami britannique me demanda par téléphone si ma femme et moi pourrions venir ce soir-là, - telle heure, telle adresse - pour rencontrer quelques camarades  de Brixmis qui souhaitaient nous manifester leur sympathie.

Au lieu indiqué, après avoir franchi la porte, nous trouvâmes un long escalier qui descendait vers une grande pièce éclairée. Lorsque nous arrivâmes en bas, les officiers de Brixmis étaient là, tous.

Ils se levèrent et entonnèrent : 

“… For he’s a jolly good fellow …”

 

____________

 

 

ET ainsi se termine le document du Commandant LEGENDRE sur son récit de ses treize jours de détention….

 

Remarques et remerciements du rédacteur :

 

« C’était pour moi l’écroulement de très nombreuses années de travail et d’effort. Je me souvins du poème de Kipling : ‘Si tu peux voir détruit en un seul jour l’ouvrage de ta vie …’ »

 

En apprenant qu’il vient d’être déclaré PNG par les Soviétiques, le Commandant LEGENDRE comprend que son espérance de carrière « diplomatique »  dans les pays de l’Est vient de s’écrouler…..profonde colère et tristesse intérieures …. tant d’années, d’efforts et d’investissement intellectuels viennent en un instant de se réduire à néant ….

 

Ayant été moi aussi Chef d’Equipage, je comprends l’immense  amertume de l’équipage de quitter ainsi sa vie opérationnelle de Missionnaire au sein de la MMFL et la puissante symbolique du poing levé du Commandant LEGENDRE à son « dernier » passage du « Pont des Espions ».

 

Grâce à son récit il nous a fait partager par son témoignage très fort et unique la difficile épreuve vécue par l’équipage lors de cette très longue détention, la plus longue de l’histoire des trois Missions Militaires Alliées. Le Commandant LEGENDRE par son sang-froid permanent a su tenir fermement et dignement son rôle de Chef d’Equipage malgré les pressions et provocations constantes des Soviétiques. Profond respect à lui et à son courageux équipage….

                         

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La cour de la Komendatoura à l’époque de « l’incident ». Vous pouvez y observer «  l’avant-cour » et un Officier Soviétique sur sa moto en attente de pénétrer  dans  « l’arrière-cour ».

 

 

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Le Commandant Claude LEGENDRE dans la cour de la KOMENDATOURA de POTSDAM sur le  lieu de la détention de l’équipage. Photo prise en 2009 lors d’un « voyage souvenir » que m’a aimablement confiée sa veuve.

 

 

Je tiens de nouveau à remercier très chaleureusement Madame Maria LEGENDRE de m’avoir fait découvrir cet  écrit  et de m’avoir autorisé sa publication dans notre Blog.

 

Dans l’épilogue de la semaine prochaine vous découvrirez le clin d’œil salvateur que l’Histoire a réservé au Commandant LEGENDRE.

 

Jacques Suspène

Président de l’Amicale des Anciens de la MMFL.

 



28/02/2024
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