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Panne d’huile à 10.000 pieds (environ 3000m) : Une petite aventure aérienne

Rédacteur : Jacques Suspène

 

 

 

 

Vous avez déjà pu lire dans le blog, des articles écrits par des camarades Missionnaires, relatant certaines de leurs aventures aériennes lors de leurs vols. Pour tous mes camarades, dans ce type d’activités comme celles au sol, nos missions ont été truffées d’aventures, de joie, de réussite, d’échecs, de moments d’anxiété et même parfois de peur maitrisée.

 

Ces missions aériennes baptisées « Reco Air » étaient passionnantes et je crois que chaque missionnaire, volontaire pour ce type d’activités, en était  fanatique. Pour ma part, je les recherchais. Lors de mes deux séjours, il y avait trois types de « Reco Air » : le survol de la BCZ « Berlin Controlled Zone », zone de 30 km autour de Berlin dont le centre était le point où se trouvait le Centre Aérien de Contrôle de Berlin (CSAB - dans lequel officiaient des contrôleurs aériens de 4 nations occupantes) à une altitude max de 1500 pieds, le vol dans les trois couloirs menant à Berlin également à une altitude de 1500 pieds et des missions moins fréquentes, le  vol dans la BCZ mais à une altitude 10.000 pieds.

 

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La BCZ, Berliner Controlled Zone de 30km autour Berlin

 

 

C’est dans cette configuration de mission que cette aventure aérienne m’est arrivée à bord d’un avion que j’adorais : le Cessna L19E « Bird-Dog » avec un remarquable pilote de l’ALAT.

 

 

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Notre L19 était stationné sur la partie militaire « BA 165 » de l’aéroport de Berlin-Tegel

 

 

Quel bonheur de voler dans ce bijou avec nos excellents  pilotes « avions » de l’ALAT, sans oublier les mécanos de l’ALAT qui entretenaient notre « Bird-Dog ». Le détachement ALAT sur la Base Aérienne165 de Berlin-Tegel, se composait d’un pilote et d’un mécano, avec une relève  variant de 4 à 6 mois. Je profite de cet article pour les remercier très sincèrement de leur profond engagement à nos missions.

 

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Le général HUET remettant lors de son dernier détachement, le bel insigne de la MMFL, au Major JANVIER pour ses services rendus.

 

 

Avant de poursuivre, je voudrais aussi dans ce domaine de la « Reco-Air » remercier mon formateur. Comme pour les missions « terrestres », « Jojo » m’initia de façon remarquable et je lui dois beaucoup. Grand merci à lui.

 

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Quand il me « passait une rafale » son sourire n’était pas le même…mais j’avoue parfois que je les méritais.

 

 

Un jour, un ordre particulier parvint à la MMFL : réaliser une couverture photographique aérienne en « extrême » limite de la zone sud de la « BCZ », couvrant notamment la zone le plus au sud possible de l’aérodrome soviétique de Speremberg. Cet important aéroport militaire des soviétiques était le siège de leur principale base de transport, de leur flotte d’avions de guerre électronique et parfois accueillait  des déploiements de  régiments d’avions de combat.

 

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Le terrain soviétique de Speremberg situé à l’extérieur Sud de la BCZ

 

 

Je fus désigné comme observateur/photographe pour cette opération. Couverture à réaliser à l’altitude précise de 10.000 pieds, si possible avec un recoupement minimal de 60% entre photos, sans mouvement latéral de l’appareil photo et bien évidemment avec une focale imposée. Un relevé de notre trajectoire « sol » était aussi demandé et cette tâche revint au pilote qui avait à  charge  de relever sur la carte notre trace « sol ».

 

 

La  préparation de cette mission était donc très minutieuse et demandait une bonne coordination avec le pilote afin de bien respecter  nos alignements selon les directives reçues. Il nous fallait aussi ne pas trop intriguer les « contrôleurs aériens soviétiques » du CSAB par notre « débordement » de la limite sud de la BCZ, ce  rôle incombant à nos camarades contrôleurs. Ils furent donc partiellement et secrètement informés de notre « vol particulier ».     

                                       

Notre préparation fut validée par les Chefs. A nous de « jouer ».

 

Après un décollage tranquille, notre lente montée se déroula au Nord de la BCZ à l’opposé du secteur de notre objectif. Puis peu à peu  la zone Sud, zone de notre « objectif », fut atteinte et les photos prises selon les directives reçues.

 

Subitement, mon regard fut attiré par une très légère traînée blanche apparaissant derrière l’avion. J’en informais aussitôt le Major. Il vérifia immédiatement les paramètres du moteur. Tout semblait normal. La traînée était toujours là, minime mais présente. Peut-être un phénomène de condensation ? Puis, rapidement je lui indiquais qu’elle me semblait devenir plus « visible ». Il me demanda aussitôt de surveiller encore plus attentivement cette trainée et de l’informer de son évolution. Nous étions à la limite « extrême » Sud de la BCZ, donc au plus loin de TEGEL notre terrain.

 

Subitement, l’historique mot de Cambronne prononcé par le pilote retentit dans mes écouteurs…..les instruments venaient de lui indiquer  une brutale chute de la pression d’huile….

 

 

Ayant des doutes sur notre capacité à rejoindre notre terrain dans des conditions normales, il signala très rapidement aux contrôleurs français notre problème et demanda assistance. En effet, pour rejoindre au plus court la Base, nous devions couper les axes d’approche de TEGEL et  de l’autre grand aéroport de Berlin, celui de TEMPELHOF en secteur US, cela avec une perte permanente d’altitude afin de ne pas trop solliciter le moteur.

 

Les contrôleurs indiquèrent que notre avion devenait prioritaire. Vu le niveau d’huile restant indiqué par l’instrument, le pilote réduisit  au mieux notre vitesse. Notre altitude diminuait progressivement. Le Major m’informait en permanence de la situation. Pour ma part, respectant les procédures d’urgence, je commençais à dissocier les optiques des boitiers et à me préparer à « voiler » les films avant de tout jeter par-dessus bord (de préférence au-dessus d’un lac) si nous devions nous poser à « l’Est ».

 

Voyant que n’arriverions à aucun des deux aéroports il indiqua au contrôle qu’il allait tenter de rejoindre le terrain britannique de GATOW, le plus proche de nous. Bien évidemment le feu vert nous fut aussitôt donné. Restait à y arriver. Notre altitude était de plus en plus faible. Les deux  craintes du pilote étaient de devoir couper le moteur avec une hélice calée qui induirait une perte d’altitude encore plus rapide et la crainte du feu.

 

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Peu à peu GATOW fut en vue, le mur aussi. Décision d’y tenter l’atterrissage fut prise et donc de ne rien jeter » par-dessus bord. Encore quelques minutes de stress…

 

Jamais je n’ai survolé le Mur aussi bas et avec autant de plaisir.

 

Quelques courtes minutes plus tard, notre « Bird-Dog » hélice calée touchait la piste et après quelques dizaines de mètres de roulage, le major engagea l’avion dans la bande d’herbe afin de dégager la piste bétonnée. Très rapidement nous fûmes  encadrés par des véhicules incendie et une ambulance. Les Anglais étaient au rendez-vous.

 

Rapidement, après avoir jeté mon blouson de vol sur la « sacoche photo », nous descendîmes  au plus vite de l’avion. Quel impressionnant spectacle !…Notre bel oiseau était couvert d’huile. Tout l’entourage était stupéfait que nous ayons pu revenir ainsi. Bravo Major ! Dans les bras l’un de l’autre nous nous rendîmes  compte de notre grande chance.

 

Restait maintenant à déplacer l’avion, le mettre en sécurité et remplir quelques formalités. Puis, informer notre Chef de notre aventure, remercier par téléphone les contrôleurs français pour leur efficacité et ensuite attendre notre récupération par un véhicule de la Mission qui nous amènera également notre mécano ALAT. A son arrivée, ce dernier,  découvrant l’avion, confirma la chance que nous avions eue.

 

De retour à la Mission, le compte-rendu complet fut fait auprès du Colonel qui félicita le pilote, eux-mêmes  me félicitant pour la détection de la fuite d’huile car tout s’est joué en quelques secondes.

Notre gentil L19 qui avait bien résisté à l’aventure fut mis dans un hangar anglais. Après quelques jours, avec l’arrivée de pièces de rechange et un super travail du mécano, il vola de nouveau, fut ramené à Tegel et les « Reco-Air » reprirent leur rythme.

 

 

 

Commentaires :

 

            Cet épisode se terminait bien, grâce aussi à la belle réactivité des contrôleurs aériens qui nous accompagnèrent jusqu’au poser, nous permettant de nous concentrer sur nos tâches respectives : pilotage précis et navigation au plus court. Récompense suprême, la mission photo avait été totalement remplie.

 

            De nombreux camarades lors de leurs « reco-air » ont aussi vécu des aventures, peut-être même plus fortes que la mienne mais heureusement toutes se sont également bien terminées. Si les souvenirs me reviennent je vous en écrirai d’autres.

 

            Cette aventure de « reco-air » me fut très marquante ; non seulement par la densité des moments vécus mais, à titre très personnel, me rapprocha d’un souvenir d’enfance que me racontait mon père, lui qui fut dès 1924 « mitrailleur/observateur/photographe » dans les débuts de l’Armée de l’Air. Coïncidence du destin, il vécut une « fuite d’huile » au-dessus des Alpes lors d’un vol d’observation sur la frontière italienne : le réservoir d’huile éclata (il en gardera des marques au visage), le pilote réussit à ramener l’avion et le poser sur le terrain en herbe du Bourget-du-lac.

Surprenante similitude du destin …..

 

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Papa et son « Altiphot »

 

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Le bidon d’huile éclaté du 24 mars 1933


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  Prêt au décollage

 

 

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Le Mont-Blanc par le Sergent Suspène en 1929

 

 

Je suis heureux et fier d’avoir suivi sa trace .... 



04/06/2025
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