LA GUERRE FROIDE Vécue par un jeune appelé
Derrière le Rideau de Fer
1971 – 1972
BERLIN – POTSDAM
Et République Démocratique Allemande
Par Michel Fallecker
C’est par une belle journée du printemps 1971 qu’est arrivé le fameux ordre de mobilisation…
Moi qui espérais rester à proximité de Mulhouse, étais convoqué le 1er juin à 18h en gare de Strasbourg pour embarquer dans le TMFB (Train Militaire Français de Berlin) pour un départ à 19h15 vers Berlin-Tegel.
Douze heures de voyage à travers la RFA (République Fédérale d’Allemagne) jusqu’à Helmstedt, point de passage vers la RDA (République Démocratique Allemande), appelé Checkpoint Alpha.
Avec l’interdiction d’ouvrir les rideaux pour regarder à l’extérieur sur ce dernier tronçon jusqu’à l’arrivée à Berlin Ouest… ce qui n’a bien sûr pas été respecté !
Vue sur les miradors, hommes en armes, barbelés et défenses anti-char.
Ambiance !!!
Puis transfert en camion à 7h15 de la gare de Tegel vers le Quartier Napoléon (ancienne Hermann Goering Kaserne), la garnison française près de l’aéroport de Tegel dans le quartier berlinois de Wedding.
C’est là que j’ai eu mon instruction de base (les classes) avant d’être affecté à la MMFL le 1er juillet.
La MMFL, qu'est-ce ???
Il s’agit de la « Mission Militaire Française de Liaison près le Haut Commandement Soviétique en Allemagne »
Explication …
La MMFL était une unité militaire très peu connue durant son existence.
Elle a été créée après un accord franco-soviétique, l’Accord Noiret-Malinine (noms des généraux qui l’ont signé le 3 avril 1947).
Les missions étaient issues d’accords bilatéraux placés sous le signe de la réciprocité.
L’URSS signa séparément avec chacun des Alliés des accords rédigés en termes analogues. Ainsi, sont nées les trois missions Alliées, basées à Potsdam en RDA, et autant pour les soviétiques en RFA, auprès des Hauts Commandements Alliés :
Français à Baden-Baden en Bade-Wurtemberg,
Américains à Francfort-sur-le-Main en Hesse et
Anglais à Bad Oeynhausen en Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Le rôle original de ces unités consistait en des missions de liaison, mais s’est très vite mué en opérations de renseignement sur les territoires adverses. Le nombre de militaires pour chaque unité était strictement réglementé, ainsi que le nombre de véhicules… ou plutôt de plaques allouées !
Plaques des missions alliées Anglaise (BRIXMIS) Française (MMFL) Américaine(USMLM)
Véhicule de la mission soviétique auprès des français (MMSL)
Ce sont mes connaissances de la langue de Goethe, des notions de mécanique et une certaine maitrise d’un véhicule automobile qui m’ont valu l’affectation dans cette unité d’une trentaine d’officiers et sous-officiers de l’armée de terre et de l’aviation avec une toute petite poignée de soldats appelés
Le tout sous le commandement du Lieutenant-Colonel d’aviation, Louis Hantz. Là, mes journées étaient rythmées entre entretien des véhicules de mission, chauffeur des épouses d’officiers et sous-officiers, notamment pour les emmener à Berlin Est par le célèbre Checkpoint Charlie, mais aussi sorties découverte de cette belle ville de Berlin, malheureusement mutilée par le fameux MUR.
Bernauer Strasse – Mes parents et ma future épouse en visite, août 1971
C’est fin août que l’on m’a proposé d’aller à Potsdam derrière le Rideau de Fer pour servir de chauffeur VGL (Véhicule de Grande Liaison), ce qui m’a tout de suite enthousiasmé pour couper de la routine du quartier Napoléon.
C’est là que j’ai présenté pour la 1ère fois mon Propousk (laissez-passer russe) à l’officier de garde sur le « Pont des Espions », le fameux Glienicke Brücke, célèbre pour avoir servi de point d’échange, entre autres, de l’espion communiste Rudolph Abel contre le pilote de l’avion espion U2 Gary Powers, abattu en URSS… Séquence émotion !
C’était l’occasion de prouver ma maitrise de la langue de Tolstoï…
Привет (privet-bonjour), спасибо (spacibo-merci) et до свидания (do svidaniya-au revoir). Maitrise qui se limitait à ces trois mots…
Du moins au début du séjour.
Mon nouveau « domicile » pour les 7 mois à venir était situé 40 – 42 Seestrasse à Potsdam où les missionnaires français disposaient de deux villas au bord du lac Heiliger See, gérées par un sous-officier français et son épouse.
Particularité, les murs avaient des oreilles*, et tous les employés - sept femmes de ménage et trois ouvriers d’entretien et de jardinage - étaient bien entendu à la solde du KGB et de la Stasi (Staatssicherheit), le service de renseignement, espionnage et contre-espionnage de triste mémoire en RDA.
Et pour « notre sécurité », il y avait « Oskar », le Vopo occupant 24 heures sur 24 la guitoune posée sur le trottoir en face de l’entrée des villas.
Ce cher homme se précipitait sur son téléphone au moindre mouvement
en provenance ou en approche des fameuses villas.
Et on sait aujourd’hui qu’il y avait des postes d’observation dans quatre propriétés voisines…
Le travail des deux appelés basés à Potsdam consistait à prendre le volant des véhicules arrivés de Berlin ouest la veille ou le matin de bonne heure pour une mission de surveillance à travers l’Allemagne de l’Est, qui pouvait durer jusqu’à deux jours et sur des distances variant de 600 à 1200 kms.
Il y avait deux types de missions :
Les « Locs » (locales, autour de Berlin), sous la responsabilité d’un sous-officier observateur et les GL (Grandes Liaisons) sur tout le territoire de la RDA.
Celles-ci étaient sous la responsabilité d’un officier et un sous-officier observateur.
Les véhicules, de type Mercedes 200 et 220 avaient des moteurs dopés : rampe de carburateur doubles, etc... Châssis renforcés, réservoir de carburant additionnel et jerricans, dispositifs de treuillage pour se sortir de tout embourbement, ensablage ou terrain verglacé…
Et des gadgets « type James Bond » comme des dispositifs de coupure des feux arrière, qui se sont avérés très utiles lors de courses poursuite nocturnes dans les zones souvent interdites… Bien que nos voitures étaient beaucoup plus puissantes que celles de nos poursuivants, cela permettait de prendre de la distance et faire « discrètement » demi-tour sur autoroute ou de filer sur une voie traversière par exemple.
Ces véhicules étaient immatriculés avec des plaques fournies par les soviétiques, à fond kaki à l’origine puis jaune fluo à partir de 1972…
Les VGL années 70
Suiveurs de la Stasi
Ces missions n’étaient bien sûr pas de tout repos…
Les routes d’abord : un réseau routier secondaire souvent dans un état épouvantable surtout en approche d’objectifs militaires, casernements, champs de manœuvre, etc…
Manque d’entretien et énormément de trafic d’engins lourds, camions et blindés. C’est ce type d’endroits qui était de la responsabilité de la Section Terre dont je dépendais.
Les aviateurs, eux, surveillaient bien évidemment les aérodromes militaires, des dispositifs de défense sol-air, terrains d’entrainements de tirs et bombardements, installations de radars…
Et ce qui nous intéressait avant tout, étaient les zones interdites permanentes (ZIP) ou zones interdites temporaires (ZIT).
Inutile de préciser que ces zones étaient étroitement surveillées !!!
D’où des situations particulièrement chaudes et tendues.
L’hiver 1971-1972, très rigoureux, ajoutait aussi des difficultés. Prendre la route de bonne heure avec une voiture ayant couché dehors par -25° avec des pneumatiques « carrés », figés par le froid, avait aussi son charme…
Ce fut une expérience exceptionnelle pour le « gamin » de 21 ans que j’étais…
Mes 21 ans que j’ai fêtés à Potsdam.
Opération treuillage
Bac sur l’Elbe
Quand ça coince, ça coince !
Il y eut des moments très chauds, comme ce jour d’hiver 1971-72 où, en mission locale avec l’Adc (Adjudant-Chef) Simon, nous nous sommes approchés d’un petit bois où l’armée soviétique avait semi-enterré des chars T54 dont seules les tourelles dépassaient à ras du sol.
L’appareil photo de l’Adc crépitait quand soudain il s’est mis à hurler :
Fonce Michel, fonce !!!
Mais j’avais déjà mis les gaz car j’avais également repéré une sentinelle qui pointait sa Kalashnikov dans notre direction…
Accélérer autant que faire se pouvait sur une route enneigée et verglacée.
La Mercedes a dérapé, balayant toute la largeur de cette route de campagne avec son train arrière !!!
Intimidation ou risque réel de se faire tirer dessus ?
Autre grosse suée quand, en remontant une piste à chars dans une semi-obscurité, on s’est subitement retrouvé nez à nez… avec une colonne de chars !
Seule chose à faire dans ce chemin creux, serrer à droite dans l’ornière.
J’entends encore le cliquetis des chenilles et le rugissement des moteurs de ces monstres de plus de 50 tonnes défilant à quelques centimètres de ma portière… Le moindre écart nous aurait été fatal !
Il y eut bien sûr beaucoup d’autres poussées d’adrénaline, en approche d’objectifs militaires dans des zones la plupart du temps interdites, parfois de nuit tous feux éteints ou en croisant ou remontant des colonnes de véhicules ennemis.
La présence de « Jals** » sur les carrefours indiquait un passage imminent de convois.
Il fallait se concentrer sur la maitrise de la voiture et surveiller les alentours en entendant l’observateur égrener dans son magnétophone les numéros de plaques qui permettaient de relier les véhicules et engins repérés à leurs lieux d’affectation.
J’ai failli me faire surprendre une seule fois en ne voyant pas arriver de l’arrière un véhicule tout-terrain Gaz 69 de l’armée est-allemande
(NVA : Nationale Volksarmee), en suivant une colonne de transport de troupes.
Le major allemand était déjà debout sur le marchepied de ce véhicule qui m’a dépassé avant de se rabattre pour me bloquer.
J’ai pilé pour éviter de me laisser coincer tout en passant la première pour accélérer brutalement et le doubler ainsi que toute la colonne de camions Oural. La puissance de la Mercedes a fait le reste et ça a juste suffit à passer avant qu’un véhicule n’arrive en face, bloquant le Gaz 69 qui essayait de suivre ! Tschuss mein Freund…
Jalonneur de la NVA
… et soviétiques
Colonne CA (soviétique)
Mission bien particulière et agréable en cette belle journée du 29 octobre 1971.
En effet, j’ai eu le privilège de conduire notre chef de Mission, le Lt-Colonel Louis Hantz et son épouse pour une journée tourisme au sud de Berlin.
C’est au volant de la « 30*** du colonel », bercés par le 6 cylindres en ligne que nous sommes allés découvrir Meissen en Saxe allemande, célèbre pour sa porcelaine puis Dresde, deux villes situées au bord de l’Elbe et enfin Leipzig où nous avons déjeuné à l’Auerbachs Keller, brasserie historique de la ville. Avant nous, J.W. von Goethe a fréquenté l’établissement, c’est dire… !
J’ai beaucoup aimé la vieille ville de Dresde appelée la Florence de l’Elbe, avec son architecture baroque, ses musées, la Frauenkirche à l’époque encore partiellement en ruines suite aux bombardements alliés de février 1945.
Meissen
Leipzig
Dresde, bord de l’Elbe
l’Auerbachs Keller à Leipzig
La « 30 » du colonel
En marge des missions « officielles », il y eut des moments bien particuliers, comme ce jour où le chef d’équipage nous a guidé vers une forêt des environs de Berlin, pour enfouir à un endroit bien précis au pied d’un arbre, un « camembert ».
De quoi s’agissait-il ? C’était un étui étanche de forme circulaire, en cuir (celui-ci était de couleur bordeaux), qui contenait, comme me l’a montré notre observateur, des demandes de renseignements avec une liasse de billets de banque, destinés à une taupe (espion infiltré chez l’ennemi) …
Ceci à la demande des Services de Renseignements Extérieurs Français, le SDECE à l’époque.
Là on était en plein roman d’espionnage !
Bien appréciables étaient les moments ou journées de détente. Celles-ci pouvaient prendre différentes formes comme par exemple les journées des fêtes nationales Françaises, Anglaises ou Américaines, fêtées ensemble, ou encore des rencontres sportives entre les trois missions alliées, organisées à Berlin-Ouest par la BRIXMIS.
Je me souviens bien d’un match de base-ball face aux Américains, « étonnamment » et… nettement remporté par ceux-ci, malgré quelques coups d’éclat de ma part (je courrais vite à l’époque…) !
Laminés par les Yankees, les pauvres Frenchies !!! Mais toujours dans la bonne humeur et avec des « troisièmes mi-temps » festives et, il faut le reconnaitre, fort bien arrosées.
Etonnantes étaient également les rencontres avec les soviétiques lors d’invitations dans « nos » villas : l’entente cordiale… surtout avec un verre à la main !
Cette période a été pour moi d’une grande richesse grâce aux multiples rencontres et échanges avec les militaires Alliés ou « ennemis », et aussi aux contacts (difficiles à établir compte-tenu du contexte) avec la population est-allemande.
Mais ce qui m’a marqué le plus était l’engagement et la rigueur sur le terrain de nos officiers et sous-officiers, spécialisés dans le renseignement.
L’émulation entre les unités alliées n’y était évidemment pas étrangère.
A la fin de mon séjour, j’ai souhaité inviter pour un déjeuner un jeune officier Russe du SRE avec qui j’avais sympathisé, le lieutenant Slava Golik originaire de Géorgie, professeur de français dans le civil et grand admirateur de la France et de sa gastronomie.
Ses chefs l’ont autorisé à venir en tenue civile et juste pour un pot…
C’était déjà ça !!!
Photo avec Slava et l’adjudant-chef Duveau dans l’endroit stratégique de la villa : le bar.
Ainsi s’est terminé pour moi mon séjour
« derrière le rideau de fer ».
Le Mur de Berlin s’est « écroulé » le 9 novembre 1989.
La MMFL a été dissoute le 30 juin 1991.
« La guerre froide s’est terminée par une victoire sans effusion de sang et cette victoire fut la nôtre. Nous nous sommes approchés suffisamment près de Russes pour les respecter en tant qu’êtres humains aussi bien que pour photographier leurs secrets militaires… »
Major Général Duc de Norfolk
Chef de la Mission britannique 1957-1959
Les villas françaises
Villa britannique
Villa américaine
ça souque ferme sur le lac
nouvelles de la famille
Ça tient !
Noël 1971
En mission
Destruction ou « emprunt » de panneaux anti-missions
Equipage du Cne Lallemand
Les personnels de la MMFL en 1971 – Quartier Napoléon
Plan d’invasion de Berlin-ouest, établi par la NVA
------------------------------------------------------------------------------------------------
* Ceci s’est confirmé le jour où l’officier interprète Polozov, du SRE (Service des Renseignements Extérieurs), notre correspondant soviétique à Potsdam, a demandé si on pouvait lui fournir des polars San Antonio, se disant fan de ce type de lecture… L’explication est qu’on utilisait l’argot pour toute conversation « sensible » au sein des villas !
** Jals, abréviation de jalonneurs. Les soldats soviétiques ne connaissant que l’écriture cyrillique, ce sont des unités de circulation routière qui « jalonnaient » les itinéraires lors des déplacements de colonnes de véhicules.
*** La voiture du chef de mission portait toujours le numéro 30.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------
Crédit photo
Les illustrations - documents et photos - de cet opuscule sont de diverses origines :
* Privées de l’auteur.
* Issues du document « La Guerre Froide en images » avec l’aimable autorisation du général Patrick MANIFICAT, auteur de l’ouvrage.
* Extraites du blog de l’Amicale des Anciens de la Mission Militaire Française de Liaison, avec l’aimable autorisation de son président Monsieur Francis DEMAY, ainsi que Monsieur Frédéric OROS, administrateur du blog :
www.secrets-de-la-guerre-froide.com
A découvrir aussi
- Les villas de la MMFL (mémoire d'un ancien officier de la Stasi)
- Victoire dans l'Est - Comment la Bundeswehr a avalé la NVA (Documentaire, 1993)
- Le plan « Saint Bernard »
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 314 autres membres