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HISTORIQUE DE BRIXMIS (5ème partie)

Cette 5ème partie est le prolongement de la précédente. Il s’agit toujours des opérations Terre de BRIXMIS, mais ici c’est le renseignement technique qui constitue le cœur du sujet. Au départ, ce sont bien les équipages de BRIXMIS qui récupéraient sur le terrain objets et documents. Mais BRIXMIS disposait aussi de deux sections spécialisées stationnées à Berlin-Ouest et qui n’effectuaient normalement pas de missions en RDA :

- L’une, le Bureau des armements de BRIXMIS, était chargée d’une première analyse technique des matériels photographiés ou récupérés sur le terrain. Ceci permettait une orientation immédiate, en « boucle courte », des équipages partant en mission, et allégeait également le travail des organismes techniques d’exploitation stationnés en Grande-Bretagne et à Rheindahlen en Allemagne de l’Ouest, auxquels seules les découvertes les plus intéressantes étaient transmises, accompagnées d’un premier rapport succinct.

- L’autre, dite « section de Spandau » du nom de son lieu d’implantation, était constituée principalement de personnels civils souvent recrutés localement, traducteurs russes et allemands, chargés de la traduction en anglais des documents récupérés, et de leur exploitation sommaire. Comme pour le bureau des armements, cette organisation permettait une orientation immédiate des équipages et un allègement de la charge de travail des organismes techniques d’exploitation.

La présence de ces deux sections explique pour une part les effectifs importants de BRIXMIS. USMLM et la MMFL n’avaient pas d’équivalent. USMLM sous-traitait tout à des organismes implantés aux Etats-Unis, aux effectifs importants et très réactifs. Les matériels et documents récupérés par la MMFL étaient bien expédiés par voie aérienne militaire à l’EMAT/BRRI, et les découvertes présumées les plus intéressantes faisaient l’objet de messages pour alerter les analystes parisiens, mais généralement ceci induisait des délais d’exploitation importants. La MMFL essayait de se débrouiller en utilisant les compétences techniques et linguistiques de ses personnels, mais, en dépit de certains succès (voir l’article sur le réseau des URS), le renseignement technique ne bénéficiait généralement pas de l’intérêt souhaitable, en partie faute d’orientations.

En vous souhaitant bonne lecture des exploits de BRIXMIS dans le domaine de la fouille des zones de déploiement et des dépôts, de la récupération des munitions, des matériels NBC, du suivi (BRIXMIS le faisait aussi) des URS, ainsi que de l’exploitation des cartes, des journaux, des lettres et autres documents –et aussi de quelques mésaventures qui leur sont survenues – nous vous rappelons à nouveau que ces textes et leur traduction, ainsi que les photos et autres illustrations, sont la propriété de l’Amicale de BRIXMIS, et d’Arnaud Piétrini pour la traduction, que j’ai simplement relue et révisée en ce qui concerne certains termes techniques. Une éventuelle autorisation de diffusion secondaire est donc à leur demander par l’intermédiaire de l’administrateur de ce blog.

 

Jean-Paul Staub

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Les équipages ont toujours été attentifs aux possibilités de récupérer des munitions des terrains d’exercice et des champs de tir à munitions réelles. Par exemple, les projectiles tirés par l'armement principal des chars soviétiques qui ont été collectés ont fourni des informations cruciales sur la menace pour les blindés de l'OTAN.

 

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De même, la Mission a réussi à répondre à la fin des années 1980 à un besoin clé en renseignement technique en récupérant une boîte de blindage explosif réactif dans un emplacement de véhicule sur un terrain d’exercice pendant l’observation d’un champ de tir actif.

 

La Mission a également pris soin de visiter régulièrement les nombreuses zones de déploiement opérationnel qui se trouvaient à l'extérieur des ZIP. Normalement situées dans les zones boisées, ces zones de déploiement étaient affectées à des unités soviétiques et est-allemandes particulières lorsqu'elles pratiquaient leur déploiement du temps de guerre depuis les casernes. Quittant leur cantonnement en « silence radio », elles se déplaçaient, souvent en empruntant des itinéraires jalonnés, vers leur zone de déploiement assignée, où un ou plusieurs bunkers avec une liaison téléphonique de campagne permettaient aux troupes de communiquer avec leur chaîne de commandement et d'attendre d'autres ordres.

 

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Les zones de déploiement différaient entre elles par leur taille et leur complexité, mais la plupart avaient un certain nombre de bunkers et d’emplacements de combat pour véhicules avec un revêtement sur les parois.

 

 

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Les équipages vérifiaient les emplacements pour véhicules afin de trouver des signes d'occupation récente et cherchaient tout ce qui aurait pu être laissé par inadvertance lorsque les occupants de la fosse quittaient la zone de déploiement.

 

Les bunkers dans ces zones de déploiement étaient également d'un grand intérêt, et beaucoup d'entre eux contenaient des signes révélateurs de l'unité qui les possédait ou qui les utilisait.

 

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Les équipages de BRIXMIS étaient doués pour pénétrer dans ces bunkers, qui pouvaient être verrouillés. Dans le cas des bunkers de niveau régimentaire et supérieur, il y avait toujours un risque qu'ils soient non seulement verrouillés, mais même occupés ou surveillés par des sentinelles.

 

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Les bunkers contenaient souvent des systèmes NBC de filtration d'air et les équipages saisissaient l'occasion pour ramener les cartouches de filtration, qui fournissaient une mine d'informations aux analystes de Porton Down[1] et d'autres agences.

 

 

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Les Soviétiques (à la grande différence de leurs camarades d'armes est-allemands) étaient enclins à négliger de ramasser et de brûler leurs documents papier à la fin d'un exercice. Les équipages de la Mission rassemblaient systématiquement tout ce qui pouvait rester dans un bunker.

 

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Les papiers récupérés pouvaient inclure des éléments tels que les journaux de bord des opérateurs radio, dont le contenu présentait un intérêt considérable pour la communauté SIGINT.

 

À certaines occasions, les Soviétiques ne détruisaient ou n’emportaient pas la cartographie de l'exercice, ce qui fournissait des indications utiles sur la planification opérationnelle et les considérations tactiques de l'unité qui utilisait la zone de déploiement[2].

 

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Presque aussi intéressantes que le contenu des emplacements de véhicules et des bunkers de la zone de déploiement étaient les latrines de campagne que les Soviétiques avaient tendance à creuser entre les arbres, si tant est qu’ils se préoccupent de préparer des espaces dédiés aux toilettes.

 

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Cette image montre un membre de la Mission américaine faisant une recherche de « papier toilette de fortune ». Les équipages BRIXMIS utilisaient généralement un sac de toile de jute, qui pouvait être abandonné ou renié si les charognards semblaient susceptibles d’être pris « la main dans le sac ».

 

L'armée soviétique donnait à ses soldats en exercice des rations ; celles-ci semblaient être constituées principalement de conserves de légumes et de biscuits à pâte dure, mais ne contenaient pas de papier hygiénique. Les soldats devaient donc recourir à du « papier toilette de fortune » et c'était le travail des équipages de le ramasser.

 

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Le papier journal était de préférence utilisé pour tenir ce rôle. La SRE à Potsdam pouvait bien refuser de remettre à la Mission une copie du quotidien du GFSA 'Sovetskaya Armiya' pour des raisons de sécurité, mais une grande partie pouvait être récupérée dans les latrines de campagne, où sa présence aidait les équipages à dater l’occupation de la zone de déploiement.

 

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Une autre source d'information déterminante provenait des lettres que les soldats soviétiques recevaient et qu'ils avaient ensuite décidé de réutiliser. Chaque unité avait son propre numéro de secteur postal et les équipages de la Mission savaient à quel numéro de secteur postal il fallait qu’ils s’attendent à trouver dans une zone de déploiement donnée. Les secteurs postaux inhabituels revêtaient une importance particulière pour les analystes.

 

Les terrains d’exercice soviétiques étaient également une riche source d'informations et de matériel. Des panneaux d’instruction, comme celui ci-dessous, donnait des détails sur les mines antichars et antipersonnel et étaient photographiés.

 

 

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D'autres objets, si les équipages les considéraient comme transportables en sécurité dans leur véhicule, étaient pris et ramenés au Bureau des armements de la Mission à Berlin-Ouest. Leur importance technique y était évaluée et des rapports étaient rédigés pour accompagner ces trouvailles dans leur chemin vers les analystes du renseignement technique du Defense Intelligence Staff[3] ou d’ailleurs.

 

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Par exemple, les mines d’instruction étaient d'une grande valeur pour ceux qui étaient chargés de concevoir des contre-mesures.

 

Les munitions de toutes sortes étaient très recherchées par la communauté du renseignement technique et les équipages ont donc récupéré des munitions utilisées, comme le projectile de 125 mm HEAT FS PRAC[4] (version non-explosive du HEAT stabilisée par des ailerons) tiré par le char T- 64 (ci-dessous). L'examen de ces éléments, ainsi que des boîtes de charges réactives récupérées par les Missions, a joué un rôle déterminant quand les capacités antichars et leurs développements futurs ont été discutés dans les capitales de l'OTAN.

 

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Les lances roquettes anti-char portatifs et leurs roquettes étaient également ramassés avec enthousiasme mais précaution par les équipages sur les terrains d’exercice.

 

 

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MATERIELS RECUPERES

16. BRIXMIS a récupéré en 1988 de nombreuses munitions et pièces d’équipement militaire. Toutes celles d’intérêt technique ont été envoyées au Royaume-Uni pour une exploitation complémentaire. Parmi les pièces les plus intéressantes se trouvaient un projectile de RPG- 7L de 90 mm récupéré sur la LETZLINGER et un tube de lancement de RPG-18 récupéré à LIEBEROSE.

Tête militaire de RPG-7L de 90 mm. Elle prolonge la durée de vie du RPG-7 largement utilisé. Nous attendons maintenant une tête militaire de 100 mm.

Tube de lancement de RPG-18. Utilisé mais en excellent état.

 

Un autre domaine important dans lequel les capacités soviétiques devaient être suivies par des équipages déterminés était celui de l'équipement offensif et défensif NBC (nucléaire, biologique et chimique).

 

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Il ressort clairement des photographies prises par la Mission et des objets et documents qu'elle a récupérés que les équipements NBC soviétiques étaient efficaces et en constante évolution.

 
 
 

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Vêtement de protection L-1 – MICHENDORF Mars 89

 

Par exemple, de grands efforts ont été faits pour découvrir ce qu'étaient les « respirateurs secrets » qui étaient clairement mentionnés dans les listes de dotations NBC d’unités soviétiques.

 

Des affiches d’instruction soviétiques abandonnées pouvaient donner un bon aperçu de l'équipement NBC de l'armée soviétique et de son utilisation, mais les équipages recherchaient toujours des kits de test abandonnés ou d'autres matériels.

 

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Une fois, à la fin des années 1980, un équipage des Missions alliées a découvert puis dissimulé ce qui semblait être un « laboratoire de campagne » de test NBC complet dans une caisse en bois dans un terrain d’exercice soviétique. Ayant eu l’assurance que sa récupération avait une priorité élevée, l’équipage revint plus tard et récupéra la caisse.

 

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BO-62K avec protection contre la poussière– masque 80

Masque 84, cartouche BO-62-K-30, protection contre l’environnement, tube pour boire et sac de transport

 

Malheureusement, le kit semble avoir contenu un agent neurotoxique ou une de ses versions d'entraînement, et l’officier ainsi que le sous-officier ont ensuite subi de graves troubles neurologiques, heureusement temporaires, mettant en évidence les risques liés à la manipulation d’objets inconnus ou mal compris.

Parmi les autres tâches entreprises par la Mission dans les années 1980, mentionnons la mise en place puis la récupération de matériaux de test dans des zones situées sous le vent de sites de stockage d'ogives nucléaires et de centrales nucléaires. Bien sûr, il y avait des risques à agir ainsi, d’autant que les équipages de la Mission n'avaient pas été équipés pour évaluer le niveau de danger potentiel.

 

En plus des « charognards chanceux » ramassant au hasard des objets et des documents, la Mission a conduit un programme très soigneusement géré pour l'exploitation des lieux connus où des ordures militaires soviétiques pouvaient être trouvées. Cette opération était connue sous le nom d'opération TAMARISK dans les années 1970 et a ensuite été rebaptisée opération TOMAHAWK dans les années 1980.
 

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Certains sites étaient très proches des casernes, certains se trouvaient dans des terrains d’exercice de garnison, tandis que d'autres étaient des décharges urbaines acceptant des camions soviétiques de déchets divers. Ces mines d'or potentielles étaient rarement inspectées pendant la journée, les équipages de la Mission préféraient s'approcher de ces décharges avec une grande prudence au petit matin, souvent accompagnés par la population locale de rongeurs.

 

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L'exploitation des documents trouvés dans les décharges de garnison répondait fréquemment à des questions qui, autrement, se seraient révélées insolubles. Un de ces cas était celui du nouveau mortier qui a commencé à être déployé dans les unités du GFSA à la fin des années 1980. Les photographies prises par les équipages de la Mission confirmaient qu'il s'agissait d'un nouveau système de tir indirect, mais ses caractéristiques techniques et sa désignation soviétique demeuraient un mystère.

 

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Les efforts de collecte ciblés de TOMAHAWK ont résolu l'énigme lors de la découverte d’un carnet de notes du commandant d’une petite unité soviétique. Ses notes méticuleuses (ci-dessous) ont révélé le calibre du mortier et son nom, le 2S12.

 

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Parfois, la nécessité de satisfaire les besoins en renseignement et les efforts ciblés des équipages pouvaient les exposer à de graves risques. Par exemple, au milieu des années 1980, le directeur de l'hôpital militaire britannique de Berlin dut demander au chef de BRIXMIS d’arrêter que ses équipages fouillent dans des bennes pleines de déchets hospitaliers soviétiques à l'hôpital principal du GFSA à Beelitz à la recherche de preuves de blessures de soldats soviétiques subies en Afghanistan. Il a souligné que les risques pour la vie et l’intégrité physique provenant des déchets médicaux dépassaient de loin tout gain potentiel en matière de renseignements. Les actions des charognards dans les bennes de déchets ont donc cessé. D’ailleurs en l’occurrence, la présence en RDA de soldats soviétiques blessés en Afghanistan avait déjà été confirmée.

 

À leur retour à Berlin, les objets et les documents récupérés étaient traités avec enthousiasme par deux sections spécialement formées au sein du QG de BRIXMIS. Le Bureau des Armements analysait et commentait le matériel, tandis que le « Bureau de Spandau » utilisait les compétences d'interprétation russe et allemande de la Mission pour exploiter les documents ramenés par les équipages de la Mission.

 

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Le Bureau des armements et le « Bureau de Spandau » (ci-dessus) ont produit leurs propres séries de rapports classifiés.

 

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Par exemple, les découvertes sur le mortier 2S12 ont donné lieu à des rapports techniques de l'armée de Terre (à gauche) et à des rapports de recherche du renseignement (à droite).

 

De même que les résultats très sensibles de l'opération TAMARISK / TOMAHAWK, un certain nombre d'autres opérations et projets spéciaux ne figuraient pas en tant que tels dans les rapports annuels de BRIXMIS, en particulier le suivi systématique et l'étude du réseau de stations automatiques de répéteurs (URS) du GFSA. Situés à intervalles de 14 km, les hangars métalliques des URS (ci-dessous, deux images spectaculaires) contenaient des équipements qui amplifiaient les signaux transmis par un complexe de câbles enterrés de communications militaires soviétiques.

 

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Alors que la plupart des hangars d’URS étaient facilement repérables, la « remorque à ruches » (ci-dessus) située au-dessus de l’entrée verticale d'une connexion d’URS à Falkenhagen n'a jamais été repérée par les Missions alliées et la plupart des équipages des Missions auraient hésité à déranger ce qui se présentait comme abritant des essaims d'abeilles irritables.

Plutôt moins passionnants pour les équipages obligés d’exécuter ces tâches, mais d’un grand intérêt pour les experts en renseignement logistique du JHQ[5] de Rheindahlen, étaient les nombreux rapports qu’ils ont produit sur les installations industrielles, l'électrification du réseau ferroviaire de l'Allemagne de l'Est, ainsi que la construction des gazoducs qui acheminaient le gaz soviétique via la Pologne vers la RDA. Chaque fois qu'il y avait une accalmie dans l'activité militaire soviétique ou de la NVA, il y avait toujours des besoins en renseignement logistique à satisfaire.



[1] Porton Down, situé dans le sud de l’Angleterre, est un centre militaire de recherches sur les armes chimiques et biologiques (NdT).

 

[2] L’extrait de carte qui suit est une carte au 1/50 000 d’origine soviétique, publiée par l’état-major général. Elle représente la partie de l’Angleterre située au nord-est de Londres, près de la côte de la Mer du Nord. La ville située près du bord droit est Colchester ! (NdT)

 

[3] Le service de renseignement de défense britannique (NdT).

 

[4] High Explosive Fin Stabilized Practice, munition d’exercice à haut pouvoir explosif stabilisée par ailerons (NdT).

 

[5] Joint Headquarters, PC interarmées (NdT).

 



17/09/2020
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