secrets-de-la-guerre-froide

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CHARLIE MIKE OSCAR

 

Par Claude Tellaroli

 

BERLIN Ouest, 9 mai 1984, je suis sur les ordres pour effectuer un vol de reconnaissance dans la BCZ de Berlin.

Décollage prévu : 15.00

Pilote : Major J…

 

Après avoir pris un repas au Mess sur la BA 165, je monte dans la petite Opel noire de la MMFL.

Christian et Pouic sont avec moi et nous rejoignons le Quartier Napoléon.

Arrivé à la Mission je monte aux OPS et prépare ma sacoche :

-          Un Nikon 50 mm

-          Un Nikon 80/200 mm

-          Un Nikon 400 mm

-          Plusieurs boites de pellicule noir et blanc

-          La carte de la BCZ

-          Mes papiers d’identité

J’enfile ma combinaison de vol et signale à mes collègues que je repars vers Tegel.

Arrivé sur la base, je gare ma voiture sur le parking et je me rends directement vers le hangar où se trouve le Cessna L-19 de l’Alat.

Le major J… est là, il m’attend, on se salue amicalement et on sort l’avion du hangar avec le mécano après que celui-ci ait fait les vérifications nécessaires d’usage.

Il fait un temps superbe ce jour-là. Allez c’est parti, on grimpe dans le L 19 et chacun se met à sa place. Le Major J… est, comme à son habitude, de bonne humeur.

Installé sur son siège, il enfile son casque et entame sa procédure avant démarrage.

Assis place arrière, le casque audio sur les oreilles, je le regarde manipuler ses instruments de bord et commencer sa procédure à voix haute :

« les volets, ok

« là …on est bon (il tourne un bouton à droite)

« là… on est bon (un autre bouton à droite également)

« le préchauff c’est ok

« …ok

« …ok

« les abords sont dégagés, ok

Toujours avec le manuel sur ses genoux, il continue :

« manette des gaz… ok

« là…ok ok ok

« allez c’est parti …

 

Il actionne le démarreur, le moteur se met à vrombir avec un bruit que j’adore et une fumée blanche se dégage immédiatement.

 

Quelques manipulations et vérifications supplémentaires, il me demande si tout est ok pour moi, je lève le pouce en signe d’affirmation.

 

Il entre en contact avec la tour de Tegel :

« Tegel Sol de Charlie Mike Oscar bonjour

« Mike Oscar je vous reçois, bonjour

« Mike Oscar 2 personnes à bord, pour un vol circulaire BCZ 1000 pieds

« bien reçu Mike Oscar, autorisé au roulage, rappelez au point d’arrêt alpha 121.75

« Mike Oscar rappel point d’arrêt alpha 121.75

 

Arrivée au point d’arrêt, poursuite de la procédure :

« essai freins

« essai ralenti … ok

« dépression gyro … bonne

« carburant ..ok

« volets rentrés ok

« commandes sur normal

« abords dégagés…. à droite… à gauche… ok

« ceintures … ok

………….

« Tegel Sol, Mike Oscar au point d’arrêt demande autorisation pour s’aligner

« Mike Oscar vous êtes numéro 2,

« Tegel Sol visuel sur le trafic, maintien position

« Mike Oscar vous êtes autorisé pour alignement, piste 26 droite, rappelez point d’arrêt

 

J... pousse légèrement le moteur et on roule vers la piste

Un Boeing de la PanAm vient de se poser….

« Tegel Sol, point d’arrêt, demande autorisation alignement pour décollage

 

Toutes dernières vérifs, il se tourne de nouveau vers moi,

« t’es ok ?

« c’est ok pour moi

 

« Mike Oscar vous êtes autorisé au décollage, piste 26 droite, le vent du 200 pour 6 nœuds

« bien reçu, 200 pour 6 nœuds

 

J… lâche les freins et les chevaux…

« Mike Oscar, décollage… dégagement par la gauche

« reçu Mike Oscar, rappelez point bravo 128.9

« Mike Oscar, rappel point bravo 128.9…. à tout à l’heure

« reçu Mike Oscar

 

Le L-19 se lève comme une feuille, on dégage rapidement par la gauche et on grimpe à 1000 pieds, le ciel est superbement dégagé, pas un nuage, visibilité horizontale parfaite, j’ouvre la fenêtre gauche et l’accroche au point d’ancrage, je sors et arme le boitier Nikon avec le 400 mm.

Essai pellicule, tout est bon.

Y a plus qu’à … !

 

Petit passage au-dessus de la citadelle de Spandau … on n’insiste pas ! On descend à 500 pieds.

Premier objectif, les casernements de Potsdam puis divers autres objectifs avant de mettre cap au Nord … on aperçoit le terrain d’hélicos d’Oranienburg. Pas d’activité aérienne en cours.

 

Prochain objectif ? me demande J…

« Cap sur Werneuchen » lui dis-je. Ce n’est pas un jour de vol aujourd’hui pour les Mig 25 Foxbat.

Je voudrais juste voir s’ils sont sur les parkings, mais il va falloir « siouxer », le terrain est en limite de la circulaire.

« Ok me dit J…, on va grimper un peu et après tu me dis ce que tu veux faire.

 

 Werneuchen 5.jpg

 

Position de l’aérodrome de Werneuchen en limite de la BCZ

 

Aussitôt dit aussitôt fait, on s’éloigne de la zone par le sud, on monte à 3000 bottes.

Pas besoin de jumelles pour s’apercevoir qu’« ILS » sont bien sur les parkings et certains devant les hangarettes.

« qu’ est-ce qu’on fait ? me demande J……. 

« ben on descend un peu et on prend verticale piste d’est en ouest.

« tu veux qu’on descende bas ?

« oui, on n’est pas venu pour rien, ok ?

« bon écoute, si tu veux on fait un « touch and go » et on dégage.

« Okkkkk, je suis prêt. Faut faire gaffe qu’ils ne nous allument pas, on « chouffe » bien au sol au cas où.

« Ok … t’es prêt ?

« oui vas-y …t’occupe pas de moi

 

Et nous voilà partis à descendre gentiment en dessous des minima, en approche au cap 260, je scrute à droite, à gauche, derrière. Rien dans l’axe, on n’est que « légèrement » sortis de la circulaire.

La piste est là, devant nous, elle se rapproche de plus en plus, je ne cache pas qu’une légère excitation m’envahit. Les Foxbat sont là, magnifiques, quelques mécanos s’affairent autour.

J… pousse le manche, on descend, on descend, j’ai l’œil droit dans le viseur de l’objectif, c’est énorme. Clic clic clic clic et tout à coup je sens que les roues du L-19 se posent sur la piste bétonnée à la grande surprise des quelques sov qui nous regardent ahuris, je déclenche de nouveau le 400, je n’ai jamais vu un Foxbat d’aussi près, bon Dieu que c’est beau !

 

Mig-25 Foxbat.JPG

 

Mig-25 Foxbat sur le terrain de Werneuchen, photo prise lors de cette mission (C.Tellaroli)

 

 

« C’est bon » dit J…, on dégage.

Et hop dégagement plein badin par la gauche, manette des gaz à fond, on remonte à 500 pieds, je transpire, la combine me colle à la peau dans le dos, je ne sais pas combien de mètres on a roulé sur la piste de Werneuchen.

Ni J…, ni moi ne pipons mot, le moment est assez tendu.

 

Quelques secondes plus tard, en me contorsionnant dans l’étroite cabine et en regardant à droite, à gauche puis derrière, j’aperçois 2 petits points noirs dans notre arrière. Ce sont 2 hélicos, 2 Mi-2 Hoplite qui ont dû décoller quand les mécanos au sol ont compris qui nous étions.

 

« … ils vont essayer de nous rattraper pour nous ramener de force vers le terrain me dit J... dans le casque. On sort les rames et on rejoint Berlin au plus vite.

 

Et là tu te dis que tu as envie de pousser le L-19 et que ce morceau de carton mâché ne vole pas assez vite. Il faut que les 210 CV donnent leur maximum.

Les 2 Hoplite se rapprochent de nous mais la distance est encore assez importante entre eux et nous, notre but étant de regagner au plus vite les limites du Mur.

 

Tout à coup la radio se met à cracher quelque chose du genre :

 

« TEGEL Sol TEGEL Sol, Charlie Mike Oscar vous me recevez ? 

« Mike Oscar à Tegel Contrôle je vous écoute dit le Major J… d’un ton calme

« Charlie Mike Oscar de Tegel Contrôle, quelle est votre position ?

« Mike Oscar, cap 260 à 3 nautiques de Lübars - 500 pieds

«reçu Mike Oscar

 

Bien avant les limites du Mur, les 2 Hoplite ont lâché prise et ont décroché. Ouf, on n’est pas passé loin.

Sans doute y aurait-il eu une protestation du contrôleur aérien soviétique vers sa hiérarchie.

Dans la cabine du L-19 on n’entend que le bruit du moteur. Il plane un grand silence.

Le Mur est là, en-dessous de nous, Il m’a semblé que ça a duré une éternité.

 

Le contrôle aérien de Tegel a cherché à entrer en contact radio avec nous quelque part avant Werneuchen. Que s’est-il passé pour qu’on n’ait pas reçu les appels radio ? Sans doute une panne radio …. le matériel a parfois quelques ratés !

 

Nous rejoignons Tegel sans encombre, un poser impeccable du Major J.…, on roule vers le taxi way et on remise le L-19 au hangar.

Le mécano dit à J... qu’il doit se rendre au bureau du Chef de la MMFL. On se regarde, on connait la raison de cette convocation.

 

Je rentre au quartier Napoléon. J’ai hâte de remettre les pellicules au labo photo, sans parler de rien.

 

En stationnant l’Opel sur le parking de la Mission, j’attends le Major J… 

A peine rentré au Bât 25B, l’ADC Nicole Beaumont, chef du secrétariat, sort de son bureau et me prie « aimablement » de me présenter dans le bureau du Chef de Mission en compagnie du Major J…, ce qui fut fait.

 

Que s’est-il dit dans le bureau du Boss ?

C’est dingue comme la mémoire peut subitement vous faire faux bond, l’émotion sans doute …

 

…. aux bons souvenirs des amis de l’ALAT, pilotes et mécanos.

  

     

Claude Tellaroli

 

Tellarolli L19.jpg

 

Claude Tellaroli devant le Cessna L19  Charlie-Mike-Oscar

 



17/12/2020
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