Une chasse à l’URS en RDA
Une chasse à l’URS en RDA
Le capitaine Bouchaud
Ceux qui espéraient le récit d’une chasse au plantigrade derrière le rideau de fer vont être déçus ! Mais alors, qu’est-ce qu’un URS ? Rien à voir avec le raccourci d’un ancien sigle bien connu : U.R.S.S. Une abréviation technique sans doute, dont les militaires de tous les pays ont le secret ? Comme vous, amis lecteurs, beaucoup de techniciens du 2ème Bureau de Baden se sont posé cette question avant que, « par hasard », un vaillant équipage de
Surpris par l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques en 1968, les Occidentaux en général et la France en particulier ont considérablement développé depuis cette date leurs moyens de Guerre Electronique (GE) et installé plusieurs centres d’écoutes le long du Rideau de fer, de manière à pouvoir suivre plus facilement les mouvements de troupes du Pacte de Varsovie. Au début de leur installation, les centres arrivaient à « suivre » dans de bonnes conditions les réseaux de télécommunications et à enregistrer des conversations de première importance. Mais d’année en année, les évolutions technologiques se multiplièrent du côté soviétique, rendant ces écoutes, et particulièrement le déchiffrement des informations, de plus en plus difficiles. Le « Régime B » venait de faire son apparition et depuis, il n’y avait plus moyen de déchiffrer les conversations interceptées.
Ce Régime B qui provoquait tant de soucis était le mode chiffré des communications soviétiques. Il s’agissait en fait d’un mot code utilisé dès que les transmetteurs ou leurs autorités souhaitaient passer du fonctionnement « en clair » au mode de communication cryptée. Les opérateurs russes commençaient par effectuer tous les réglages radio en clair puis, aussitôt qu’ils avaient des informations confidentielles à passer, ils disaient simplement : « Passez en régime B ».
Dès ce moment, les opérateurs d’écoute français ne pouvaient plus rien comprendre car le signal était brouillé. Nos analystes devaient ensuite trouver le code de déchiffrement, ce qui prenait forcément beaucoup de temps. Les réglages radio préliminaires permettaient cependant de localiser l’emplacement des troupes soviétiques. Or, au cours de certaines manœuvres, nos mêmes opérateurs d’écoute avaient remarqué qu’en plein milieu d’un exercice, le silence radio survenait subitement et que, deux à trois heures plus tard, lorsque le trafic radio reprenait, les troupes avaient progressé de plusieurs kilomètres en direction de l’Ouest. Elles avaient donc reçu des ordres par d’autres moyens.
Que s’était-il passé ? De quels moyens nouveaux les Soviétiques disposaient-ils ? Pour répondre à cette question, on décida d’affecter un officier de l’arme des Transmissions à la MMFL, un domaine réservé jusque là presque exclusivement aux cadres des armes de mêlée[1].
C’est ainsi que le capitaine Guy Bouchaud, un ancien de
Le moment est venu d’en dire davantage sur ce sigle barbare. URS est une abréviation en langue russe qui signifie : Station d’amplification directionnelle. La plupart des techniciens de la Guerre Electronique connaissaient l’existence de cette abréviation et de cette station, mais personne ne savait réellement où elle était déployée et, surtout, comment elle fonctionnait.
Tous les équipages de la MMFL, aussi bien « Air » que « Terre », furent donc « mis sur le coup » ce qui, en quelques mois, permit d’identifier et de relever le tracé, en RDA, de tout un réseau de câbles souterrains reliés entre eux, aboutissant à chacune des zones de manœuvres où se déployaient les PC des unités. Car les Soviétiques disposaient d’un véritable maillage de câbles enterrés constituant un système de communications filaires impossibles à intercepter. La perspicacité des missionnaires permit aussi de découvrir que des petites cabanes métalliques, soigneusement cadenassées, étaient érigées tous les dix kilomètres environ, le long de ces réseaux. Que pouvait-il y avoir à l’intérieur de ces cabanes ? Il était trop dangereux d’y pénétrer par effraction, il fallait trouver un autre moyen.
La fortune sourit aux audacieux. Un beau matin, le capitaine Bouchaud et son équipage aperçoivent une camionnette GAZ 66 stationnée à proximité d’une de ces fameuses constructions. La porte de la cabane est ouverte et des soldats soviétiques s’affairent tout autour. Vers midi, l’équipage repasse par là, le véhicule soviétique ne s’y trouve plus. Le capitaine décide alors de s’arrêter pour recueillir le moindre indice. Et là, surprise, le gros cadenas est bien sur la porte, mais il n’est pas refermé ! Mais laissons le chef d’équipage raconter la suite de l’histoire :
« Vite, ouvrons la porte et regardons ce qu’il y a à l’intérieur »… Une échelle tout d’abord qui descend sur environ
Les anciens de la Mission reconnaitront les "héros"
« Chouette, c’est un URS (translittération de YPC en français). Nous avons trouvé ce que nous cherchions. » - « Mon adjudant-chef, c’est une première, soignez bien les photos, surtout ne les loupez pas ! » - « Bien, mon capitaine, mais il fait sombre et elles ne seront peut être pas exploitables. » Chacun s’interroge en vitesse sur la meilleure conduite à tenir. Ni une ni deux, nous décidons, à l’unanimité, d’emporter tout simplement l’appareil sans se préoccuper des conséquences d’un tel acte. En moins de deux minutes, l’appareil est débranché, hissé à l’extérieur, chargé dans le coffre sous des couvertures, et la voiture a redémarré…
C’est aussitôt la joie dans la voiture… jusqu’au moment où le conducteur sème la panique à bord : « Vous vous rendez compte, mon Capitaine, les SOV vont vite s’apercevoir que l’appareil a été enlevé, ils vont aussitôt nous soupçonner et, au Check-Point du Pont de Glienicke, ils vont nous arrêter, faire ouvrir le coffre et découvrir l’engin. On sera tous PNG[2] ». Il a peut-être raison. Que faire alors ? Poser l’appareil à la villa et tenter de le passer plus tard ? C’est risqué car, à la villa, travaille une dizaine d’employés de la RDA au service des SOV et de la STASI, ce n’est donc pas un lieu sûr. Le cacher dans les bois et le reprendre plus tard ? C’est une solution mais qui comporte le risque de ne plus le retrouver le moment venu.
C’est décidé, on prend le risque de le passer tout de suite, dans la foulée. On va écourter la mission d’une journée et rentrer directement à Berlin sans passer par la villa. C’est ce que nous faisons. Inutile de dire que, lors du passage au Pont de Glienicke, personne n’est très fier. Ouf, rien d’anormal, les barrières et la grille s’ouvrent et nous voilà à l’Ouest avec l’appareil.
Examen d'un câble tactique
On pense l’arroser dès notre arrivée. C’était sans compter sur la réaction du chef des opérations : - « Mon Commandant, venez voir dans la voiture ce que l’on a ramené. C’est une surprise, vous allez être content.» Le commandant descend les escaliers s’approche du coffre de la VGL et voit l’appareil : - « C’est quoi, ce truc ? » - « Un URS, mon Commandant, que nous avons récupéré sur le terrain. » - « Mais Bouchaud, vous êtes devenu complètement fou, vous n’y pensez pas, les SOV vont tout de suite savoir que c’est vous qui avez fait le coup, le chef de Mission va avoir de sérieux ennuis et vous, vous allez vous retrouver PNG… »
Puis, après avoir retrouvé son calme, le commandant rajoute : - « Bon. Ce qui est fait est fait. On verra bien, cachez moi ce machin-là avant de l’envoyer à Baden par le prochain courrier.»
Pont des espions
Donc pas d’arrosage immédiat de cette « Première » pour l’instant, et il ne reste plus qu’à prier Dieu pour que les SOV croient que c’est un habitant de RDA, hostile à leur présence, qui a sans doute fait le coup. »
En définitive, les experts français et alliés furent très heureux de cette « trouvaille ». Ils purent déterminer avec précision les fonctions exactes de l’appareil qui servait à compenser les atténuations de puissance des signaux émis et à les amplifier pour les rendre audibles sur de longues distances. Ils purent même découvrir que certains composants faisaient appel à de nouvelles technologies et, quelques mois plus tard, le 2ème Bureau envoya une lettre de félicitations à la Mission ainsi qu’à l’équipage. Ce dernier put arroser dignement mais « discrètement malgré tout » cet exceptionnel trophée.
Patrick Manificat d’après le récit du général Guy Bouchaud.
[2] Persona non grata qui se traduisait par l’expulsion hors du territoire des personnels concernés.
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