4 roues crevées…en 10 minutes.
Rédacteur : Jacques Suspène.
4 roues crevées et… tension accrue dans la VGL (« Véhicule Grande Liaison » était l’appellation de nos « fiers mustangs »).
Lors de mon premier séjour, avec Comme Chef d’équipage le Commandant HUET, futur Chef de la MMFL et l’Adjudant-Chef LICOURT, notre équipage avait comme objectifs la zone Dresde-Bautzen avec la surveillance des aérodromes est-allemands de Bautzen, Dresde-Klotzsche et le terrain soviétique de Dresde-Hellereau.
Cette zone n’était pas la plus facile pour les MML Alliées car enclavée entre de nombreuses zones interdites et étroitement surveillée tant par la Police que par la Stasi.
La veille de la mission, le chef d’équipage nous confirme les objectifs : Bautzen, Hellereau et Dresde-Klotzsche. Aussitôt les cartes sont étalées et les dossiers d’objectifs étudiés. Des conseils sont pris aussi auprès des Missionnaires présents qui ont déjà « traité » ces sites. C’est la procédure pour toute préparation de mission. Les dossiers sont analysés en détail et les principales informations mémorisées.
Puis sur l’immense carte murale de la RDA où figurent les zones interdites et l’ensemble des objectifs, les itinéraires sont élaborés sommairement puis affinés sur les cartes au « 100.000ème » puis les approches des objectifs sur celles au « 25.000ème ».
Autour du chef d’équipage, les divers scénarios sont élaborés et mis au point, les cheminements sont fixés ainsi que l’heure de départ. C’est ensuite la constitution de la « sacoche navigateur » qui va contenir toutes les cartes aux différentes échelles et...la carte officielle des Zones Interdites Permanentes (ZIP) en cas « d’incidents ». Le photographe quant à lui prépare « le cercueil » nom donné à la sacoche photo vue sa forme et sa taille impressionnante. Elle va contenir tous les boîtiers, les différentes focales, les différents films, le flash, voire le Maxi-Flash et bien d’autres « gadgets ». Chacun contrôle la sacoche de l’autre puis tout est présenté au chef d’équipage qui valide. L’équipage est prêt. Le chef du garage nous attribue une VGL et son numéro. Reste à fixer l’heure de « ramassage » de l’équipage par la « permanence ».
Environ une heure avant l’heure de départ fixée, l’équipage arrive à la Mission, la voiture et ses équipements sont vérifiés, les équipements personnels glissés dans le peu de place restant dans le coffre, puis les sacoches opérationnelles embarquées. Aux « Opérations » l’équipage consulte les dernières informations et messages et c’est le départ.
La partie opérationnelle liée au véhicule qui se trouvait dans les coffres.
Après un départ très tôt, la route est prise vers le sud, direction Leipzig puis « une évasive » pour rejoindre le secteur Sud-Est de la RDA en se faufilant à travers les différentes zones interdites. Notre premier objectif étant Bautzen, il va nous falloir être « sioux » dans notre approche, puis dans notre mise en place sur notre « point d’attente (PA) », et sur le « point d’observation (PO) » si de l’activité aérienne se déclenche.
« En janvier 1958, le nouveau « Escadron Ecole d’Aviation » « 2 FAG-2 », plus tard « FAG-25 », créé en 1954, occupa l'aérodrome de Bautzen. Sa dotation était constituée au début d’avions de combat MiG-15 des versions « bis » et « UTI ». En 1963, l'escadron reçut l'avion d'entraînement tchécoslovaque L-29, puis le L39 lui succéda ».
L 29 Delfin
L39 Albatros
Bautzen n’était pas un objectif facile, car la piste était orientée Est-Ouest et bordée au Nord, à environ 2 km, par l’autoroute reliant Dresde (environ 70km) à la Pologne.Elle était très surveillée tant par la police que par la Stasi. Cette autoroute a également été pour les Missions Militaitres Alliées, à certaines périodes, la limite Nord d’une Zone Interdite. Mais dans toutes les périodes, le franchissement de l’autoroute, pour pénétrer vers le Sud, a toujours été très délicat.
Et une fois au Sud, peu de possibilité de PO en relative sécurité car ce secteur proche de la ville comportait de nombreux villages et habitations forestières fréquentées.
Ce jour-là, malgré nos heures d’attente, aucune activité ne se déclencha et la décision fut prise de partir vers l’objectif suivant.
Il en était ainsi avec ce type de missions de surveillance de l’activité aérienne, parfois grande réussite, parfois « misère ».
Heureusement souvent la chance nous souriait et ce fut le cas en nous dirigeant vers Dresde-Klotzsche notre objectif suivant. En effet nous avions à tenter d’observer ensuite Dresde-Hellereau, héliport soviétique doté récemment d’une unité d’hélicoptères de guerre électronique
(Situé à quelques kilomètres au Sud-Ouest l’aéroport de Dresde-Klotzsche (repère 2), Dresde-Hellereau (repère 1 et 3) devint un héliport de plus en plus important dans l’organigramme soviétique. Très vite un site de missiles Sol-Air en vint assurer sa défense (repère 4).
A notre grande surprise ce furent les hélicoptères d’Hellereau qui vinrent à nous, en volant parallèlement à notre autoroute. Rapidement un parking d’autoroute vide devint notre point d’observation et les appareils photos crépitèrent. Nous étions heureux de cette première moisson du jour et notre cheminement vers Dresde-Klotzsche reprit.
Quelques exemples de variantes « guerre électroniques de l’époque qui faisaient notre bonheur.
Ce « Terrain est-allemand » abritait les unités de Transport de l’Armée de l’Air est-allemande et assurait la maintenance lourde de tous les types d’avions de la NVA.
IL 62 M
IL 18
AN 2
AN 26
MIG 17
L 410
IL 18 VIP
Pour l’observer et en tenter « l’inventaire », il fallait longer sa périphérie Nord au ras des clôtures, en espérant ne « rencontrer personne » et cheminer dans le bois se trouvant au plus près de la zone des hangars et parkings. Notre chef d’équipage avait déjà réalisé plusieurs fois cette mission et sa connaissance du secteur nous fut très utile dans notre délicat cheminement d’approche.
Nos « coups de sécurité » n’ayant pas permis de détecter de « suiveurs » nous franchissons l’autoroute et cheminons le long des barbelés vers le « Bois ». Nous observons déjà de nombreux avions devant les hangars et sur le parking l’activité « sol » semble intense.
Dans le bois, notre cheminement se poursuit et au fur et à mesure, au gré des trouées, des photos sont prises. Nous poursuivons notre progression à faible vitesse afin d’être le moins bruyant possible et nous devons nous enfoncer davantage dans le bois. Subitement la voiture se bloque. L’observateur descend de sa place droite, et voyant son regard nous nous doutons immédiatement que « quelque chose cloche ». Moteur coupé, le chef d’équipage et moi-même le rejoignons.
Drôle de surprise, notre VGL est littéralement empalée, les deux pneus avant déchirés, sur une herse type agricole parfaitement camouflée et fixée au sol, pas de doute nous sommes tombés dans un piège.
Après une courte réflexion et une inspection des abords, la décision est prise de nous dégager de la herse et de changer nos deux roues. Le plus discrètement possible nous les changeons. Après plusieurs dizaines de minutes d’effort le coffre est rangé puis nous poursuivons notre cheminement. Nous évitons au maximum les chemins tracés. La topographie du terrain et son humidité nous obligent à reprendre des passages obligés. Peu à peu nous approchons au plus près de notre meilleur point d’observation.
Pris par nos observations des avions, vigilants aux bruits de voix nous parvenant du terrain, nous poursuivons dans les hautes herbes recouvrant totalement le petit chemin. Cinquante mètres et … bruit tragique de l’air s’échappant en furie de nos pneus avant, nous sommes de nouveau empalés.
Le piège est identique. Après s’être dégagés de ce nouveau piège nous devons permuter nos roues avant et arrière. Nous le faisons avec difficultés car malgré notre « plaque-support » le cric s’enfonce régulièrement dans le sol humide. Enfin après bien des efforts, c’est fait.
Maintenant plus de choix possible, il faut s’échapper de ce secteur. Calmement notre chef d’équipage nous consulte. Nous étudions en détail la carte au 1/25000ème et nos fameux dossiers « autoroutes » extrêmement détaillés, si importants pour nos « mises en place » ou « fuites ». Ils vont à cette occasion avoir une importance majeure pour élaborer notre « stratégie d’évasion » de cette zone partiellement interdite et entièrement « derrière pancarte ».
Nous avons quelques kilomètres à faire, seulement sur nos « deux roues en état », sans rechange possible. Grande interrogation : comment va se comporter la voiture ? Tout d’abord nous mettons en sécurité nos équipements et seul un appareil photo, une paire de jumelles et un magnétophone restent à portée de main.
Nous devons, en espérant une progression « tranquille », rejoindre la bordure du bois, plonger sur l’autoroute « Dresde – Bautzen », la traverser, rejoindre la bretelle reliant l’autoroute « Dresde – Berlin » et rejoindre cette autoroute, puis nous mettre en sécurité sur la bordure afin d’envisager la suite. Le tout sans « être dérangés » … Sacré challenge.
C’est parti ! La progression dans le bois est très lente, non seulement à cause de nos pneus crevés mais aussi pour éviter la dégradation rapide de leurs bandes de roulement. Nous sommes heureux de ne pas être inquiétés. Nous apercevons l’autoroute au travers des branches. Le Chef et l’Adjudant-chef descendent et vont tenter de repérer un point de franchissement.
Je les vois revenir avec sourires et pouces levés. Nous sommes quasiment au niveau de la bretelle de rejointe de l’autoroute Nord vers Berlin. C’est notre premier objectif.
De nouveau mes deux compagnons repartent et se mettent en place pour me donner le top pour franchir l’autoroute et me glisser sur la bretelle, avec toujours l’espoir que les pneus tiennent.
Grande chance, peu de circulation, les deux étapes sont franchies sans grosse difficulté. Les enveloppes des pneus tiennent toujours malgré leur état de plus en plus dégradé. Reste maintenant à parcourir le petit kilomètre pour rejoindre l’autoroute nous menant à Berlin.
A peine avons-nous démarré qu’un véhicule de la Polizei arrive ! Surprise, elle freine et se place derrière nous. Les deux agents semblent un peu désemparés de nous voir rouler ainsi et nous suivent perplexes. Heureusement, peu à peu nous arrivons sur « notre autoroute » il est temps, les pneus sont déchirés et prêts à s’enflammer.
En bons usagers de la route, nous nous garons en sécurité et plaçons nos triangles de sécurité. La Polizei envoie des renforts et avec sirènes et gyrophares allumés ils viennent nous encadrer. Mais aucune agressivité…nous n’avions donc pas été repérés auparavant…soulagement.
Notre Chef, après une nouvelle analyse du dossier autoroute ad’hoc, ne voit qu’une solution : qu’il rejoigne à pied la première station-service et tente de téléphoner à la « Villa » de Potsdam. Un footing de quelques kilomètres…courage Chef !
La Polizei maintient ses positions. Rien de plus ne se déroule, sauf de très nombreux passages de véhicules « suiveurs » dont nous nous empressons de noter les immatriculations.
Pour l’Adjudant-Chef et moi-même, patience. A tour de rôle, nous descendons de la voiture et en faisons le tour, de quoi occuper nos « anges gardiens » qui à chaque sortie « nous mitraillent » avec leurs appareils photos. Nous faisons, à chaque fois, bonne figure avec un sourire à faire pâlir les acteurs d’Hollywood.
Après plus d’une bonne heure, notre Chef réapparait, lui aussi sourire aux lèvres. Sa tactique était la bonne, il a pu joindre la « Villa » qui a rebasculé notre demande à notre permanence berlinoise.
Il nous reste de nouveau à attendre…nos deux roues. Quelques heures après, une VGL venant du Nord, suivie elle aussi par la Polizei, arrive. Encore quelques minutes d’attente et la voilà derrière nous. Surprise de nos camarades quand nous leur expliquons que dans notre coffre se trouve deux autres roues crevées. Nous leurs racontons notre mésaventure et aussi notre chance.
Nos sauveteurs sont venus super équipés, avec crics de mécanos et autres outils de pros. En quelques minutes les nouvelles roues sont montées, les « crevées » sont embarquées par nos « dépanneurs » puis les organes vitaux de la voiture sont inspectés, tout est en ordre. Nous sommes prêts au départ en convoi.
Après quelques heures de route, le « Pont des Espions » est franchi, nos bureaux rejoints et restent maintenant les comptes-rendus à rédiger. Une aventure qui se termine bien.
Commentaires :
Nous étions quand même tous surpris, lors de la réunion hebdomadaire, du « piégeage » de cette zone. C’est la première fois que nous observions telle chose. Quelques temps après, notre Chef en eut un début d’explications.
Peu de temps, avant un équipage d’une autre MLM avait été chassé par une patrouille de la NVA et s’en était suivie une course poursuite « agitée » à travers ce bois. Certains équipages avaient souvent pour mauvaise habitude de « chauffer » les zones. Il est probable que les Est-Allemands de la NVA ou de la STASI avaient retracé le cheminement de cet équipage puis placé ces « pièges » que nous venions « d’inaugurer ». Heureusement, la chance ce jour-là était totalement avec nous.
Notre carte au 1/25000ème de cet objectif fut mise à jour avec le marquage de ces pièges. Les « visites » suivantes se déroulèrent avec une prudence accrue et sans autre incident notable.
Tous nos « incidents » étaient mis en commun et c’est ce rassemblement d’expériences positives ou négatives qui faisait notre Force et étoffait le savoir-faire des équipages. Ce « pot commun » a bien souvent sauvé des équipages de moments extrêmement délicats voire pires.
Dans nos « prospections » il y avait toujours une parcelle d’inconnu et souvent la chance heureusement nous souriait. Ce fut le cas lors de celle-ci. Mais je reconnais aujourd’hui que « Dame Chance » fut souvent de mon côté, tout au long de ma carrière, merci à Elle.
(Photo souvenir de ces panneaux d’autoroute ; « pour les Anciens : l’embranchement Dresde, Batov, Kalau, Lukau »)
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