1989 Une année extraordinaire
Dans deux mois et demi, l'Allemagne célébrera les 30 ans de la chute du Mur de Berlin. De très nombreux articles sont déjà publiés à cette occasion, tous plus pertinents les uns que les autres. Mais aucun ne met en perspective les deux faits majeurs qui ont conduit à cet effondrement du Mur :
- Le 16 octobre 1978, le cardinal Carol Wojtyla, archevêque de Cracovie est élu pape à Rome ; et, par devoir de mémoire, il prend le nom de Jean-Paul II. La surprise est immense, tant dans l'église catholique que dans les pays de l'Est. Un journal satirique français a même indiqué, dans ses colonnes, que le clergé ouest-allemand aurait « acheté » des voix de cardinaux pour faciliter les choses...
- Le 27 décembre 1979, l'Union soviétique commence l'invasion de l'Afghanistan, au motif de défendre un régime frère, en grande difficulté. Cette décision a été prise par Brejnev, le chef du KGB, et le chef d'État-major de l'armée soviétique, en désaccord avec son propre État-major. Soit ! Mais les Russes, pourtant cultivés, n'avaient pas bien lu « Les Cavaliers » de Joseph Kessel ; sinon, ils auraient su que les tribus afghanes étaient indomptables !
Ce sont bien ces deux événements qui vont peser, constamment et lourdement, sur l'avenir du bloc soviétique pendant à peine 10 ans...
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En effet, l'année 1989 démarre plutôt bien puisque dès le 15 février, le général Boris Gromov, commandant du contingent soviétique en Afghanistan franchit à pied et le dernier – dans le bon sens cette fois – le pont de la Liberté, sur l'Amou-Daria, qui sépare l'Afghanistan de l'URSS.
C'est aussi le signe irréversible pour les pays satellites – qui sont d’abord et surtout des démocraties impopulaires – que le grand frère russe a définitivement perdu la main. A partir de là, l’histoire s’accélère, en Hongrie, puis de nouveau en Pologne.
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Il se trouve qu'au printemps 1989, je suis désigné comme observateur en RDA – dans le cadre des Accords de Stockholm – pour suivre un exercice notifié par les Soviétiques. Outre mes « échanges avec le KGB », déjà diffusés sur le blog de la MMFL, je prends le soin de déjeuner sur le terrain avec des officiers de la Bundeswehr, puis le lendemain avec d'autres de la NVA. Manifestement, les officiers de la RFA – un peu surpris par une question sur la possibilité d'une réunification de l'Allemagne – ne semblent pas disposés à aller plus loin ; peut-être un sujet tabou ?
En revanche, ceux de la RDA restent ouverts. Et quand je leur demande quelle pourrait être la voie la plus facile pour entamer un rapprochement, ils répondent presque spontanément : celle de l'économie. C'est en fait une bonne réponse, tant les citoyens de la RDA étaient conscients du fossé qui séparait les deux États germaniques...
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En juin 1989, je suis invité à me rendre à Bonn pour un séjour de 48 heures, proposé aux officiers nouvellement affectés aux FFA pour mieux connaître la RFA. Mes deux séjours de plus de 7 années à Potsdam, en garnison à Berlin-Ouest, ne comptent pas, tant mieux ! Dans la matinée du second jour, nous nous rendons au Bundestag, où nous sommes accueillis par un député parlant un français parfait : Thomas de Maizière (1). Il nous fait un exposé intéressant sur la situation de la RFA, et il traite, à la fin, la question de la RDA d'une façon presque banale comme si ce n'était pas un sujet important, voire essentiel. Nous sommes invités à poser des questions. Tout de suite je lève la main pour l'interpeller sur la RDA, en lui précisant que j'ai servi plus de 7 ans dans les missions alliées de Potsdam. Je lui indique alors que j'ai toujours eu le sentiment que la RFA jouait sciemment ou non – peut-être même sans y croire – la réunification : beaucoup y pensaient, personne ne l’exprimait. Sa réponse fuse immédiatement : « ce que vous me dites n'est pas forcément contradictoire avec ce que je vous ai dit ».
Ce que j'ai écrit, plus haut, sur l'information du journal satirique français prend du sens...
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Vers la mi-septembre, comme chaque année à Baden-Oos, une grande réunion rassemble l'État-major ainsi que tous les chefs de corps des Forces Françaises en Allemagne ; et le général commandant la brigade franco-allemande, récemment mise sur pied, est aussi présent. Il s'agit d'une « grand-messe » où différents intervenants prennent la parole. J'y participe en tant que responsable pour apprécier la menace soviétique dans les groupes de forces : du GFO en RDA, et du GFC en Tchécoslovaquie. En gros, je me contente de faire une synthèse des 12 derniers mois où il n'y a pas eu d'évènements majeurs, si ce n'est la confirmation d'une posture plus défensive : avec un renforcement des feux de l'artillerie, de 18 à 24 pièces par groupe (+33%) ; et une augmentation des moyens de franchissement du génie, pour le pontage.
Quand j'ai terminé, un chef de corps, que je connais très bien, me pose une question sur la situation un peu agitée qui règne dans des pays satellites (Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie). Ce n'est pas dans mon domaine de compétences, mais après une brève réflexion, je tiens un propos volontairement lapidaire : « la réponse sera politique ! ». Il n'y a plus d'autres questions...
À la fin de la réunion, un général me prend à part pour me dire : cette fois, vous exagérez : le mur de Berlin est encore là pour trente ans ! Je lui réponds avec un large sourire : je crains que vous ne vous trompiez lourdement, mon général...
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Le 7 octobre 1989, la RDA célèbre le 40ème anniversaire de sa création. C'est une cérémonie que la MMFL couvre, notamment lors du retour des unités qui rentrent sur leurs garnisons. Sachant que le Bureau Renseignement, du secteur français de Berlin-Ouest, est compétent pour recueillir les informations à Berlin-Est.
À Baden-Oos, je suis cette cérémonie à la télévision au Bureau Renseignement du CCFFA. Le plus important va se produire en direct, quand Gorbatchev va embrasser « à la russe » le camarade Honecker... Immédiatement, je pense : c'est le baiser de la mort !
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À l'époque, j'ignorais tout de l'opération LOUTCH (Луч, le rayon), visant à éliminer Honecker, lancée dès le printemps 1985, juste après l'arrivée de Gorbatchev au pouvoir.
Les Soviétiques auraient été mieux inspirés en l'appelant boomerang – ce qui n'aurait pas posé de problème de traduction. Deux ans après, c'est l'URSS qui amenait le pavillon communiste pour devenir la Communauté des États indépendants (CEI).
En définitive, et pour conclure, j'en viens à me demander si Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev n'a pas sciemment entamé un processus irréversible (2) en arrivant au pouvoir, autour des deux mots : « perestroïka » (réforme ou restructuration) et « glasnost » (transparence ou publicité). Peut-être a-t-il pensé que le communisme était une doctrine dépassée et inefficace, et que le plus sûr pour préparer l'avenir de la grande et sainte Russie était d'y mettre un terme ?...
Le 9 novembre au soir, Günther Schabowski, lors d'une conférence de presse se lance dans la fouille d'un dossier, à portée de main, pour lire que le Mur va être ouvert... A la question « quand ? », il hésite et, sans vraiment chercher, il répond : « ab sofort », le Mur est tombé !
Кοнéц филма
Fin du film
Francis Demay
(1) Lothar de Maizière – un autre membre de cette grande famille protestante, émigrée après la révocation de l'Edit de Nantes – a été le premier et dernier Premier ministre, démocratiquement élu de la RDA, avant la réunification (2 octobre 1990).
(2) :https://www.challenges.fr/monde/personne-n-a-pense-que-ca-irait-aussi-vite-temoigne-le-pm-hongrois-a-l-origine-de-la-chute-du-rideau-de-fer_669301.amp
Réponse de Gorbatchev, en mars 1989, à une question posée par le Premier ministre hongrois :
« Mikhaïl a alors tapé sur son fauteuil et dit : Aussi longtemps que vous me verrez dans ce fauteuil, la répression du Soulèvement de Budapest par l'Armée rouge en 1956 ne se reproduira pas. C'était clairement la fin de la doctrine Brejnev. »
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